Un arrêt de la Cour de cassation rendu le 25 octobre 2000 (pourvoi n° 00-82152, Légifrance) pose les bases de la réflexion en matière de vol de dents en or et bijoux sur les cadavres.
Des fossoyeurs étaient chargés, dans le cadre de leurs fonctions, de déblayer à la pelleteuse les terrains communs où se trouvaient des emplacements en fin de concession et des fosses communes, pour refaire de la place. A cette occasion, le fatras extirpé de la pelle mécanique était trié, la terre étant conservée et les ossements et autres débris, détruits à la chaux ou au feu.
L’audition des fossoyeurs a permis de recueillir l’aveu de ce qu’ils s’employaient à récupérer les débris d’or et les bijoux trouvés au cours des travaux de nettoyage des fosses communes ou concessions non renouvelées, et provenant des cadavres ou restes de cadavres.
Les prévenus ont admis avoir recueilli des bijoux ou dents en or pour les conserver à titre personnel.
Les fossoyeurs ont été poursuivis pour fait de vol (soustraction frauduleuse de la chose d’autrui) aggravé (commis dans l’exercice de leur mission de service public) et de recel (profiter d’une chose que l’on sait provenir d’un délit ou d’un crime).
Les fossoyeurs avançaient pour leur défense qu’ils n’avaient pas commis de tels vols ni de recels dès lors que les objets récupérés étaient des choses abandonnées qui n’appartenaient à personne. Elles ne sont donc pas susceptibles d’appropriation frauduleuse. En effet, le vol suppose l’existence d’un propriétaire ; or la succession s’ouvrant par la mort, le défunt ne peut pas avoir la qualité de propriétaire car il est mort et pas vivant. Seule une personne vivante est un acteur juridique pouvant posséder un bien ou une chose.
Les fossoyeurs soutenaient également pour leur défense que c’était leur hiérarchie qui leur avait donné l’ordre de procéder à la destruction des caveaux, où se trouvent les concessions abandonnées et les fosses communes. La Cour de cassation n’a pas accueilli ce dernier motif en considérant qu’il procédait dune certain mauvaise foi.
La Cour d’appel avait condamné les fossoyeurs aux peines de vols aggravés et de recel, à 24 mois d’emprisonnement dont 22 mois avec sursis, 10.000 francs d’amende, outre une peine complémentaire de l’interdiction définitive d’exercer une fonction publique.
La Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt d’appel mais seulement en ce qu’il a prononcé la peine complémentaire liée à l’interdiction définitive d’exercer une mission de service public.
Elle a cependant abouti au même principe de condamnation des prévenus pour vols aggravés et recels de vols même si elle a reformulé les motifs alors invoqués par la Cour d’appel.
Dans son attendu, elle a dit pour droit :
« aux motifs adoptés que l’inhumation des défunts avec leurs bijoux et leurs prothèses dentaires démontre la volonté de leurs proches de ne pas les déposséder de ces objets dont ils étaient propriétaires ; qu’en l’absence de famille, aucun élément ne permet de présumer une renonciation des défunts à leur droit de propriété sur ces objets ; qu’en conséquence, ceux-ci ne peuvent être considérés comme abandonnés, et sont dès lors toujours susceptibles d’être l’objet d’une soustraction frauduleuse au détriment des défunts, de leurs proches ou du domaine public ; que les prévenus ont admis avoir récupéré des bijoux ou dents en or pour les conserver à titre personnel ».
Cet arrêt pose le problème de la qualification juridique des biens ou objets qui sont fixés sur le cadavre.
Pour les prévenus, il s’agirait d’objets abandonnés, non appropriables.
Le droit des biens reconnaît en effet, à côté des choses appropriables, la catégorie des « res derelictae », qui ne font pas l’objet de vol, soit parce qu’elles ne sont pas appropriables (air, vent …) soit qu’elles n’ont pas de propriétaire en raison des circonstances (cannette jetée sur la voie publique…). Les choses abandonnées, qui n’ont plus de maître, sont dites « res nullius ».
La qualification de vol suppose que la chose objet du vol soit susceptible d’appropriation.
Les « res nullius » (les choses abandonnées) n’ont, par hypothèse, pas de propriétaire. Elles ne peuvent donc pas être volées.
Les prévenus soutenaient qu’en tout état de cause, les débris étaient voués à la destruction systématique. Ils pouvaient donc être considérés comme des choses abandonnés par leur maître. Ces débris devaient d’autant plus être réputés abandonnés qu’ils appartenaient à la personne du défunt lorsqu’il était vivant, et que depuis son décès, ils ne pouvaient plus appartenir au défunt. Ses proches s’en désintéressaient puisqu’ils ne se sont pas manifestés pour renouveler la concession.
Pur retenir la qualification de vol, la Cour d’appel de Montpellier avait osé considérer que les défunts étaient propriétaires des débris litigieux : « en l’absence de famille, aucun élément ne permet de présumer une renonciation des défunts à leur droit de propriété sur ces objets ». Cette position des juges du fond était audacieuse mais pas conforme à l’idée que seule une personne vivante peut être propriétaire.
La Cour de cassation a d’ailleurs sanctionné cette motivation en la qualifiant de « motif erroné mais surabondant ». Cela signifie que même si le motif est erroné, l’arrêt d’appel ne sera pas cassé en ce qui concerne le principe de la culpabilité des prévenus sur le fondement du vol, en ce qu’il n’est que superfétatoire et non déterminant.
Il est désormais acquis que pour que la qualification de res derelictae soit retenue, encore faut-il que la volonté d’abandonner le bien soit non équivoque.
De son vivant, le défunt n’avait pas exprimé sa volonté d’abandonner les objets associés à sa dépouille. Après sa mort, ses proches ne se sont pas davantage exprimés sur la volonté d’abandonner les objets attachés au cadavre.
En raison de ce défaut d’expression de la volonté d’abandon par le défunt ou ses proches, les objets sont présumés appartenir au défunt, ou aux proches, ou au domaine public.
La Cour de cassation a même estimé que le fait que les dépouilles avaient été inhumées avec ces objets à l’intérieur du cercueil, induit que la famille avait voulu donner à ces objets une destination, pour des raisons sentimentales ou religieuses, ce qui leur conférait une possibilité d’appropriation confortant la qualification de vol.
Au vu de ce qui précède, on peut supposer que la qualification de vol ou de recel de vol pour des objets associés à des cadavres a été faite au « forceps ».
Les magistrats auraient peut-être pu utiliser une autre qualification pénale telle l’infraction de violation de sépulture et l’atteinte à l’intégrité du cadavre (article 225-17 code pénal).
Le texte sur la violation de sépulture est plus facile à appliquer car il sanctionne « toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit ». Selon la Cour d’appel,
« les prétendues trouvailles des prévenus ont nécessairement exigé de leur part une action libératrice des objets modifiant la structure des cadavres dont l’intégrité s’est trouvée, dès lors, atteinte ».
Le texte relatif l’atteinte à l’intégrité physique du cadavre est également plus commode à appliquer car il ne précise pas quels sont les actes constitutifs de l’infraction (voie de fait mais aussi toute action physique). Le fait d’ouvrir un tombeau, de desceller une dalle mortuaire et de manipuler une pelleteuse et trier les débris peut suffire à constituer la matérialité du délit. Il manquait ici peut-être un élément intentionnel : la preuve de l’intention de violer les sépultures pour les dégrader par exemple. Mais il faut savoir que les fossoyeurs ouvraient les cercueils avant de devoir opérer avec la pelleteuse sur la base de fiches de travail que leur remettait quelques temps avant leur hiérarchie, de sorte qu’ils avaient tout le temps de s’organiser et repérer les débris sur les cadavres à récupérer à l’occasion des coups de pelleteuse.
A noter que cette jurisprudence de la Cour de cassation relative à la qualification de vol et recel de vol pourrait tout à fait être transposée dans le cas où des funérariums récupèrent les prothèses et les dents en métaux précieux sur les cadavres que les familles les chargent d’incinérer, sans demander l’autorisation des ayants droit. L’infraction pénale spéciale d’atteinte à l’intégrité des cadavres pourrait également être envisagée (Toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende).
Ronit ANTEBI Avocat
Publié le 1er novembre 2019