On se pose souvent la question de savoir si un enfant qui a bénéficié de sa mère d’aliments et de subsides lui permettant d’assurer sa subsistance, devrait être considéré comme gratifié par suite d’une donation et s’il devrait en rapporter la valeur au jour de la succession afin de rétablir l’équilibre du partage.
Dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la cour de cassation, en date du 15 novembre 2017, (pourvoi n° 16-26-396, Légifrance), Micheline est décédée le 28 juillet 2010, laissant pour lui succéder ses deux enfants, Marie Sybille et Arnault.
Un jugement avait ordonné le partage de la succession.
La cour d’appel de Paris avait rendu un arrêt du 14 septembre 2016 aux termes duquel les sommes versées par la mère à la fille entre 1992 et 2010 totalisant 619 275 euros ne doivent pas être rapportées à la succession.
La cour a estimé que la fille de la défunte avait perçu des aliments car depuis son divorce en 1990, elle n’avait pas retrouvé d’activité professionnelle régulière.
Elle a jugé que les aliments (contrairement aux dons manuels) ne se rapportent pas à la succession.
Arnault a intenté un pourvoi en soutenant que les juges du fond avaient rendu une décision qui manquait de base légale, alors que les parents ne doivent des aliments à leur enfant majeur que s’il est dans le besoin, c’est-à-dire dans l’impossibilité d’assurer sa propre subsistance par ses biens personnels ou par son travail.
Il relevait que la Cour avait omis de vérifier si la bénéficiaire était en capacité de retrouver un travail et si elle avait un patrimoine.
Il faisait valoir en outre que sa sœur née en 1948, diplômée, avait occupé des postes très prestigieux comme le montrait son curriculum vitae et qu’elle était en capacité de retrouver un emploi rémunérateur. Elle aurait fait cependant le choix délibéré d’arrêter de travailler en profitant des largesses de sa mère.
Il explicitait enfin que l’appréciation des subsides se fait non seulement d’après la fortune de leur mère mais également d’après les besoins de la fille. Or cette dernière avait bénéficié d’une moyenne de 36 000 euros annuels pendant près de 20 ans. Et, les Juges du fond n’ont pas vérifié quels étaient les besoins de la fille ni si les sommes versées étaient strictement proportionnées à ces besoins.
La Cour de cassation n’a pas entendu ces moyens et a rejeté le pourvoi, confirmant l’analyse des Juges du fait.
« Mais attendu qu’après avoir relevé que Mme Y, divorcée en 1990 et sans emploi depuis 1992, a bénéficié de l’aide de sa mère, qui a payé son loyer et lui a servi une modeste pension alimentaire mensuelle, l’arrêt retient que, par cette assistance financière représentant environ 10 % de ses revenus, sans atteinte à son capital, la défunte, qui a fait figurer les sommes versées dans ses déclarations fiscales, a entendu respecter son obligation alimentaire envers sa fille, sans que son intention libérale ne soit établie ».
Au vu de cet arrêt, on peut ressentir un sentiment d’injustice envers le fils de la défunte qui lui, a dû travailler toute sa vie pour s’en sortir tandis que la fille a délibérément refusé d’accepter un emploi pendant près de 20 ans. La somme de 36 000 euros annuels correspond tout de même à un salaire et ces sommes ont été versées sur une très longue période. On ne peut pas imaginer qu’une femme d’expérience et diplômée ayant occupé des postes prestigieux ne soit pas parvenue à trouver un emploi lui correspondant pendant toute cette tranche de vie.
Cet arrêt ne renseigne peut-être pas sur le niveau de fortune de la débitrice. Peut-être était-il très consistant ? Ce qui expliquerait alors que la cour ait considéré que ces sommes n’aient été que « modestes ».
Toujours est-il qu’il n’est pas sûr que cet arrêt soit de principe dans la mesure où il a une dimension très factuelle. Or les éléments factuels peuvent varier d’un cas d’espèce à l’autre. Et surtout, il ne semble pas priver de la possibilité de soutenir la thèse de la donation rapportable si des efforts sont consacrés à démontrer l’animus donandi (élément intentionnel de la donation) en vertu de l’article 894 du Code civil. Peut-être que si le frère avait consacré davantage de développement pour démontrer que leur mère avait eu l’intention de se dépouiller au profit de sa fille sans lui en demander remboursement, la cour aurait retenu la qualification de donation rapportable ? La question reste ouverte.
Ronit ANTEBI – Avocate en droit des successions à Cannes
Publié le 5 novembre 2021