La responsabilité des assureurs-vie pour défaut d’information et de conseil, et manquement au devoir de prudence dans la détermination des bénéficiaires et le versement des capitaux
La cour d’appel de Nancy a rendu un arrêt le 9 février 2012 (RG : 11/00543, Lexis Nexis) relativement à la mise en cause de la responsabilité de l’assureur-vie dans la délivrance du capital à un bénéficiaire autre que celui nouvellement désigné à son insu.
Monsieur Raoul G a souscrit auprès de la société Predica, le 01 décembre 1994, un contrat d’assurance-vie dénommé « Confluence ». Il a versé des primes totalisant 11 052, 55€. Il a désigné en tant que bénéficiaire, son épouse Yvonne et à défaut, Betty et Nadège.
Il a, par ailleurs, souscrit, le 13 janvier 1999, un autre contrat d’assurance-vie auprès de la société Prédica par l’intermédiaire du Crédit Agricole, dénommé « Optalissime », sur lequel il a versé des primes pour un montant total de 79 730,79€ ; il a désigné en qualité de bénéficiaire son épouse et à défaut, Betty D.
Monsieur G est décédé le 19 septembre 2003. Sa veuve a été mise sous la tutelle de l’Udaf le 27 mai 2004 ; elle est elle-même décédée le 21 août 2005.
Le 23 janvier 2006, la société Prédica a procédé aux paiements suivants :
- 7 812€ à Nadège (« Confluence »)
- 7812€ à Betty (« Confluence”)
- 80 000€ à Betty (« Optalissime »)
La tutrice avait accepté la clause bénéficiaire en faveur de la conjointe survivante.
On sait qu’une telle acceptation de la bénéficiaire entraine une impossibilité de changement du bénéficiaire.
Les héritiers de Madame Yvonne veuve G à savoir Marie-Hélène, Yvon et Yves ont fait assigner le Crédit Agricole de Lorraine ainsi que la société Prédica, par exploit du 16 janvier 2009, pour obtenir leur condamnation au paiement d’une somme de 90 783€ en exécution des contrats d’assurance-vie, augmenté d’une somme de 10000€ à titre de dommages-intérêts.
Le Crédit Agricole a attrait à la cause Betty et Nadège.
Par jugement, le Tribunal a condamné in solidum le Crédit Agricole et la sté Prédica au paiement d’une somme de 90 783 euros en exécution des contrats d’assurance-vie augmentée des intérêts légaux capitalisés et d’une indemnité de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, en sus de l’article 700 et les dépens.
En effet, en vertu de l’article L 132-9 du Code des assurances, la stipulation au profit du bénéficiaire devient irrévocable par l’acceptation de ce dernier.
D’autre part, une telle acceptation est un acte d’administration qu’un tuteur peut accomplir au nom du majeur protégé, sans y être autorisé par le juge des tutelles.
Par lettre du 22 février 2005, le tuteur avait envoyé une acceptation au Crédit Agricole afin de l’inviter à verser les capitaux.
Le Crédit Agricole avait rétorqué qu’il n’avait pas reçu cette lettre envoyée en simple mais le Tribunal a relevé que les courriers de réponse subséquents mentionnaient bien ce courrier.
Le tribunal en a déduit que la banque avait bien été informée de l’acceptation du bénéficiaire de l’assurance-vie par le tuteur et qu’elle n’aurait donc pas dû verser les capitaux aux bénéficiaires de second rang.
Le tribunal a condamné l’assureur et la banque in solidum au paiement des sommes équivalentes aux primes versées par le souscripteur. Il a estimé qu’en sa qualité de mandante, la société Prédica doit aussi répondre de la faute commise par le Crédit Agricole, son mandataire, qui s’est abstenu de verser les capitaux au premier bénéficiaire, qui avait déclaré les accepter.
Le Crédit Agricole de Lorraine a interjeté appel de cette décision par déclaration du 28 février 2011, aux fins de réformation du jugement prononcé à son encontre et subsidiairement, aux fins de condamnation de Betty et Nadège à restituer entre les mains des héritiers de Mme Yvonne veuve G, les capitaux versés à leur profit, le cas échéant après déduction des sommes versées au Trésor public.
Le Crédit Agricole précise qu’il est intervenu en qualité de courtier de l’assureur et conteste avoir commis une quelconque faute.
La société Prédica forme d’appel incident pour obtenir le rejet de toutes les demandes formulées à son encontre. Subsidiairement, elle entend obtenir la répétition des capitaux versés à Nadège et Betty. Elle conteste donc avoir commis une faute quelconque estimant que ces paiements sont libératoires par application de l’article L 132-25 du code des assurances et subsidiairement, elle soutient que Nadège et Betty doivent répéter les sommes qui leur auraient été indûment payées, s’il devait être reconnu que le bénéfice des contrats a été acquis à Mme Yvonne veuve G.
Les héritiers de Mme Yvonne veuve G (intimés) demandent la confirmation de la condamnation des banques.
Ils répliquent que la lettre du 13 octobre 2004 par laquelle l’UDAF a donné diverses instructions au Crédit Agricole, suite à la mise sous tutelle de Mme Yvonne veuve G, traduisait déjà une acceptation tacite du bénéfice des deux assurances-vie, cette acceptation ayant ensuite été expressément confirmée par une lettre du 22 février 2005 ainsi que par un aveu extrajudiciaire du Crédit Agricole qui a admis l’avoir reçue.
Les héritiers soutiennent encore que l’acceptation par la bénéficiaire n’est soumise à aucune condition de forme et qu’ intervenue avant le décès de Yvonne, elle leur a irrévocablement conféré le droit au versement des capitaux. Ils estiment enfin que la sté Prédica est engagée par les actes fautivement accomplis par son mandataire et font encore valoir que le Crédit Agricole a manqué à son devoir d’information et de conseil, fût-ce sur un terrain extra contractuel, en ne veillant pas à ce que Madame Yvonne veuve G bénéficie de façon effective de l’épargne que lui avait constituée son époux.
Betty conclut à la confirmation du jugement et subsidiairement, sollicite l’entière garantie du Crédit Agricole. Elle qualifie de fautive l’attitude du Crédit Agricole qui a procédé à des versements de capitaux sans prendre les précautions élémentaires qui s’imposaient.
Nadège met en doute l’acceptation par l’Udaf du bénéfice des contrats d’assurance au profit de la majeure protégée.
La Cour d’appel, au visa de l’article L 132 9 dernier alinéa du code des assurances considère qu’en matière d’assurance sur la vie, après le décès de l’assuré, l’acceptation par le bénéficiaire désigné est libre et peut donc s’opérer par tout moyen.
L’argument selon lequel cette lettre n’aurait jamais été réceptionnée par l’agence du Crédit Agricole, mandataire de la société Prédica, apparaît dénué de toute pertinence au regard de la teneur de la lettre du 19 février 2007 du Crédit Agricole adressée au notaire chargé de la liquidation de la succession de Madame G qui fait référence à cette lettre.
Cette lettre du 19 février 2007 comporte une autre précision qui explique la naissance du litige, son auteur ayant expliqué que : « du fait du décès de la première bénéficiaire, les contrats ont été remboursés entre les mains des deuxièmes bénéficiaires conformément à la clause rédigée par le souscripteur ».
Il est aussi avéré que le Crédit Agricole a méconnu que le bénéfice d’une stipulation pour autrui est transmis aux héritiers du bénéficiaire désigné lorsque celui-ci vient à décéder après le stipulant.
Par conséquent, c’est à tort que la sté Prédica invoque les dispositions de l’article L 132-25 du Code des assurances pour soutenir que les paiements faits entre les mains de personnes désignées à titre de bénéficiaires subsidiaires seraient libératoires.
Le jugement est confirmé sur le princope de la condamnation au paiement aux héritiers de Mme Yvonne veuve G des capitaux en vertu des deux contrats.
Seul le jugement sera réformé pour limiter à la seule sté Prédica, la condamnation à payer ces sommes.
Le jugement est partiellement réformé quant à la capitalisation des intérêts légaux.
La demande en répétition de l’indu formée par la sté Prédica contre Betty et Nadège est recevable.
Les capitaux décès ont été payés indument à Betty et Nadège ; en vertu de l’article 1376 du Code civil, elles sont tenues de restituer à la sté Prédica les sommes qu’elles ont effectivement encaissées.
La demande incidente de Betty a été déclarée recevable et a été admise par la cour d’appel. Le Crédit Agricole, comme mandataire de la sté Prédica, a commis une erreur en méconnaissant que la clause bénéficiaire acceptée au nom de veuve G a été transmise aux héritiers de cette dernière. En agissant de la sorte, le Crédit Agricole a commis au préjudice de Betty une faute engageant sa responsabilité extra contractuelle. Le préjudice est égal aux sommes que Betty qui en a disposé sans que cela ne puisse lui être reproché, a perçues indûment, si bien que le Crédit Agricole sera condamné à la garantir intégralement de la somme qu’elle est condamnée à restituer à la sté Prédica.
En conséquence, le jugement de première instance a été infirmé en ce qu’il avait ordonné la condamnation in solidum du Crédit Agricole de Lorraine et de la sté Prédica au paiement d’une somme de 90 783 euros et condamne la sté Prédica à payer aux héritiers de Mme veuve G la somme de 90 783 euros outre les intérêts légaux avec capitalisation, confirme les autres dispositions.
La Cour d’appel ajoute la condamnation de Betty à restituer à la sté Prédica la somme de 54 789 euros, la condamnation de Nadège à restituer à la sté Prédica la somme de 6 611 euros, la condamnation du Crédit Agricole de Lorraine à garantir intégralement Betty de la condamnation prononcée au profit de la sté Prédica.
Il ressort de cette jurisprudence qu’alors même que la loi fait désormais obligation aux assureurs vie de délivrer le capital rapidement, il demeure qu’ils ne peuvent accomplir cette obligation que sous réserve d’un devoir d’information et de conseil et de prudence afin de ne pas commettre d’erreur sur l’identification des bénéficiaires, à défaut de quoi, ils engageraient leur responsabilité sur le fondement délictuel à l’égard des bénéficiaires évincés, outre l’appel en garantie pouvant être enclenché à leur encontre par les bénéficiaires condamnés à restitution.
En cette espèce, la jurisprudence a pu apprécier souverainement que le paiement des capitaux décès aux bénéficiaires subséquents n’étaient pas libératoire, faute de bonne foi de l’assureur-vie.
Me Ronit ANTEBI
Avocate au barreau de Grasse
Maître Antebi répond à vos questions en droit des successions
Le cabinet de Maître Ronit ANTEBI Avocat traite de nombreux dossiers en droit des successions dans toute la France et particulièrement dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette discipline du droit s’exerce le plus souvent à l’ouverture de la succession c’est-à-dire au jour du décès.