La loi californienne permettant l’exhérédation des enfants est-elle contraire à l’ordre public international Français ?
La Cour de cassation, première chambre civile, a rendu un arrêt le 27 septembre 2017, n° 16-13.151, publié au bulletin.
Michel Y, compositeur de musique, s’est marié le 13 octobre 1990 avec Mme C.
Le 14 février 1999, il a établi et fait enregistrer aux États-Unis un testament aux termes duquel il a légué tous ses biens au « Y Family trust ».
Le 16 février 1999, Michel Y et Mme C ont organisé la gestion de leur patrimoine sous la forme de ce trust commun, prévoyant que l’époux survivant deviendrait l’unique bénéficiaire de l’intégralité des biens du couple, lesquels doivent revenir, au décès de ce dernier, à leurs deux filles.
Michel Y est décédé le … à … Etat de Californie aux États-Unis d’Amérique, laissant à sa survivance, son épouse, deux enfants D et E et 4 autres enfants issus d’unions et d’une relation, antérieures.
Madame C estime être la seule bénéficiaire de la succession de Michel Y, qui comprend des immeubles aux États-Unis et des biens mobiliers aux États-Unis et en France dont les redevances et droits d’auteur attachés à ses compositions musicales.
Trois des enfants du défunt ont saisi le tribunal judiciaire, afin d’exercer leurs droits d’héritiers réservataires sur la masse successorale, en soutenant que l’ordre public international français s’opposait à l’application de la loi californienne, qui ignore la réserve.
La cour d’appel de Paris avait rejeté leur demande.
Les trois enfants ont intenté un pourvoi en cassation, en faisant grief à l’arrêt d’appel d’avoir fait application de la loi étrangère en vertu de la règle des conflits de loi, alors qu’elle viole le principe de la réserve héréditaire, d’ordre public international français, qui garantit la cohésion familiale et le principe d’égalité entre les héritiers et qui interdit au de cujus d’exhéréder ses enfants au profit du conjoint survivant, en vertu des articles 3, 912 et 913 du Code civil français.
Il est également reproché à l’arrêt d’appel de n’avoir pas suffisamment pris en considération les liens de rattachement avec la France dès lors que Michel Y avait conservé la nationalité française, qu’il avait transmise à tous ses enfants même ceux nés aux États-Unis, que trois de ces enfants résidaient en France et qu’une partie de sa succession était composée de meubles situés en France.
Dans un attendu de principe, la Cour de cassation juge qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à leur public international français et ne peut être écartée que si son application concrète au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels.
Et attendu qu’après avoir énoncé que la loi normalement applicable à la succession est celle de l’Etat de Californie qui ne connaît pas la réserve héréditaire, l’arrêt relève qu’il n’est pas soutenu que l’application de cette loi laisserait l’un ou l’autre des consorts Y, tous majeurs au jour du décès de leur père, dans une situation de précarité économique ou de besoin, que Michel Y résidait depuis presque 30 ans en Californie où sont nés ces trois derniers enfants, et que tout son patrimoine immobilier et une grande partie de son patrimoine mobilier sont situés aux États-Unis ; que la cour d’appel qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et qui a procédé aux recherches prétendument omises, en a exactement déduit que la loi californienne ayant permis à Michel Y de disposer de tous ses biens en faveur d’un trust bénéficiant à son épouse, mère de leurs deux filles, alors mineures, sans en réserver une part à ses autres enfants, ne heurtait pas l’ordre public international français ; que le moyen qui critique des motifs surabondants du jugement ne peut être accueilli.
« Rejette le pourvoi ».
Il ressort de cet arrêt récent de la Cour de cassation, qu’une loi étrangère applicable à la succession qui permettrait d’exhéréder des enfants du défunt, ne serait pas automatiquement contraire à l’ordre public international français, dès lors qu’elle prévoit dans son dispositif, d’autres modalités pour préserver la situation économique et de subsistance de ses descendants.
D’aucuns évoqueraient une progressive disparition en droit français de la notion de « réserve héréditaire », institution napoléonienne et particularisme français, au demeurant d’ordre public, qui se viderait de sa substance par le jeu des législations européenne et internationale.
Concrètement, cela signifie que l’on ne peut pas exhéréder en France un enfant, par testament ou autre mécanisme quel qu’il soit, lorsque la succession s’ouvre en France mais que l’on peut le faire au contraire, lorsque la succession s’ouvre dans un Etat tiers comme les Etats-Unis, qui permettrait, moyennant la constitution d’un « trust » par exemple, d’évincer certains des enfants de la succession du défunt, pourvu que la législation de cet Etat tiers prévoit des modalités préservant la subsistance économique, en cas de besoin, auxdits descendants.
Maître Antebi répond à vos questions en droit des successions
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