Cap sur un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 septembre 2017 et comparaison avec l’affaire Johnny Hallyday (pourvoi n° 16-13151, Légifrance)
Application de la loi californienne au détriment de la Loi française
Dans un arrêt de la Cour de cassation en date du 27 septembre 2017, la première chambre civile a confirmé l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 16 décembre 2015, aux termes duquel l’application de la loi californienne sous le couvert de laquelle un Français résidant aux Etats Unis depuis trente ans avait établi un testament par lequel il avait légué l’ensemble de ses biens immobiliers et mobiliers sis aux Etats Unis et en France à un trust familial prévoyant que le conjoint survivant deviendrait l’unique bénéficiaire de l’intégralité des biens du couple, n’est pas contraire à l’ordre public français et peut donc s’appliquer tel quel, en France.
En l’espèce, Michel Y est compositeur de musique. Il est de nationalité française. Il a eu deux unions successives et ses enfants sont issus de chacune d’elles. Ceux de premier lit résident en France et sont de nationalité française. Ceux issus du second lit sont nés aux Etats-Unis et de nationalité américaine.
Michel Y s’est remarié en octobre 1990 avec Mme C. Le 14 février 1999, il a établi et fait enregistrer un testament aux Etats Unis aux termes duquel il a légué tous ses biens à un trust familial devant profiter à son décès à son conjoint survivant puis à leurs deux filles.
Sa succession comprend des immeubles et des meubles sis aux Etats Unis et en France ainsi que des droits d’auteur issus de ses compositions musicales.
Mme C estime être l’unique bénéficiaire de la succession de son époux décédé.
Les enfants du second mariage ont saisi le Tribunal Judiciaire, revendiquant leur droit à la réserve héréditaire, institution d’ordre public ne devant nullement céder devant la loi californienne qui l’ignore.
La Cour d’appel de Paris les a déboutés de leur action.
Ils ont intenté un pourvoi en cassation.
Ils allèguent devant la première chambre civile que si en droit international privé, en 2016, la règle de conflit de lois désigne celle du dernier domicile du défunt comme seule applicable à la succession, cette loi californienne ne saurait s’appliquer en l’espèce car elle est contraire à l’ordre public français très attaché à la notion de réserve héréditaire.
La loi française impérative précise en effet que les enfants ont droit à une réserve de laquelle ils ne pourront être exhérédés ni par testament, ni par tout autre mécanisme. L’amplitude de la réserve dépend du nombre d’enfants du défunt. Si celui-ci avait laissé un enfant, la réserve à laquelle il peut prétendre est de la moitié du patrimoine. Si le défunt a laissé deux enfants, chacun d’eux aura une réserve équivalente à un tiers. Si le défunt avait laissé trois enfants et plus, ils se partagent une réserve globale des trois quarts. Le reste correspond à la quotité disponible et peut être attribué à tout un chacun, au choix du défunt, par testament.
Cette réserve est une institution napoléonienne et elle marque profondément le droit français.
Elle permet de conserver les biens dans les familles.
Elle garantit la cohésion familiale et permet de préserver l’égalité entre les héritiers de sorte qu’aucun héritier ne puisse être laissé démuni.
Etonnamment, la première chambre civile de la Cour de cassation valide l’application de la loi californienne et le testament litigieux.
En effet, elle estime que si normalement la loi applicable est celle de l’Etat de Californie, qui ne connaît pas la réserve héréditaire et qui autorise le testateur à déshériter certains de ses enfants, il n’est pas établi que l’application de cette loi étrangère laisserait l’un ou l’autre des consorts Y, tous majeurs au jour du décès de leur père, dans une situation de précarité économique ou de besoin.
Elle en déduit que la loi californienne peut régir le testament.
Ce d’autant que la situation présente un lien de proximité étroit avec la Californie.
Commentaire :
La Cour de cassation consacre une approche in concreto de la notion d’ordre public français. Elle invite à vérifier dans chaque cas d’espèce, si la loi étrangère va générer une situation de dénuement économique au détriment de héritiers par le sang.
En l’espèce, la Cour de cassation relève que la Cour d’appel a bien fait de tenir compte du fait que la loi californienne permet de demander au juge l’allocation d’une allocation familiale de secours au profit des enfants du défunt, adultes qui étaient en tout ou partie à sa charge.
La Cour de cassation prend en considération le fait sous-jacent que les réformes successives intervenues en France et en Europe traduisent un affaiblissement progressif de la réserve héréditaire. Notamment, la loi française du 23 juin 2006 relative au droit des successions (exclusion des ascendants du bénéfice de la réserve, faculté de renoncer de façon anticipée à l’action en réduction, exclusion des assurances-vie du rapport à la masse successorale, réduction en valeur et non plus en nature, exclusion du droit de retour des collatéraux privilégiés en présence d’une donation entre époux ou d’un testament…) et le règlement européen n° 650/2012 du 4 juillet 2012, applicable aux successions ouvertes depuis le 17 août 2015, consacrant une plus grande liberté de tester et de choisir la loi applicable, vident peu la réserve héréditaire de sa substance.
La Cour de cassation estime que la loi étrangère qui prive les enfants de la réserve héréditaire n’est pas discriminatoire et ne rompt pas l’égalité entre les héritiers. La réserve n’a aucun caractère universel.
Le règlement européen permet au testateur d’organiser sa succession en soumettant son testament à la loi de son dernier domicile habituel ou à celle de sa nationalité. Mais cela n’est envisageable que pour les successions ouvertes à compter du 17 août 2015.
Un Français résidant habituellement dans un pays étranger dont le droit ne connaît pas l’institution de la réserve héréditaire, tels les pays anglo-saxons, pourra écarter valablement ses descendants de sa succession au profit de toute autre personne.
Le Conseil constitutionnel a rendu une décision aux termes de laquelle, pour rétablir l’égalité entre les enfants étrangers et les enfants français, le législateur peut fonder une différence de traitement en autorisant le prélèvement des actifs sis en France, étant observé que le règlement européen n’interdit pas aux Etats membres cette modalité législative. Mais le législateur n’a pas saisi l’opportunité.
Cet arrêt de jurisprudence est susceptible d’être rapproché de l’affaire Johnny Hallyday qui intéresse beaucoup de Français et la presse. Les Juges ont tendance à céder devant les évolutions de la société et s’imprègnent des réformes successives pour considérer qu’en présence de critères de rattachement suffisamment probants avec l’Etat étranger, le résidant peut valablement tester au détriment d’une partie de sa descendance. Solution qui peut choquer une partie de la société française encore très attachée aux biens de famille et à la descendance.
Ronit ANTEBI Avocat à Cannes
Publié le 11 décembre 2018