La distinction entre le legs graduel et le legs résiduel et la responsabilité du notaire
La Cour de cassation première chambre civile a rendu un arrêt le 14 avril 2021 numéro 19 21 290 Légifrance
Y est décédée en 2010 en laissant pour lui succéder son époux (Monsieur B) et son fils (Monsieur R) en l’état d’un testament daté du 3 décembre 2010, rédigé au dos d’un tableau.
« Je soussignée Y née V veux que ce tableau ainsi que tout ce que je possède (maison et contenu) aillent en direct à mon époux bien-aimé, Monsieur B, le jour de ma mort. A la mort de celui-ci, tout reviendra à mon fils R mais pas du vivant de son père. Aucun autre héritier ne pourra justifier de quoi que ce soit ».
Le 5 novembre 2010, Me P … notaire, a établi un acte de partage en considérant que ce testament instituait Monsieur B légataire à titre particulier des biens et droits immobiliers visés dans le testament, notamment de la pleine propriété de la maison. Après s’être remarié, Monsieur B… a, le 13 septembre 2013, vendu cette maison à son épouse.
M R soutenait que le notaire avait commis une erreur dans l’interprétation de ce testament, qui consacrait un legs graduel de la maison et non pas résiduel.
Il assignait son père et le notaire aux fins d’annulation de l’acte de partage et condamnation du notaire à réparer le préjudice causé par le manquement à son devoir de conseil.
La cour d’appel condamne le notaire au paiement à M R d’une indemnité de 102 000 euros eu titre de la perte de chance, outre 5000 euros au titre de son préjudice moral, 21 093, 58 euros au titre des honoraires versés.
Me P notaire intente un pourvoi en cassation, faisant grief à l’arrêt d’appel d’avoir statué en ce sens alors que l’indemnisation doit être l’exacte mesure du préjudice subi, qu’en le condamnant à ,payer au total 128 093,58 euros, en réparation de divers préjudices, résultant du fait que le notaire avait qualifié à tort le legs litigieux de résiduel alors qu’il était graduel, sans rechercher ainsi qu’elle y était invitée par le notaire, si en raison de cette erreur de qualification, M R n’avait pas bénéficié d’une économie d’impôt venant contrebalancer son préjudice, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
La Cour de cassation, au visa du nouvel article 1240 du Code civil, a donné raison au notaire en considérant que pour le condamner au titre de la perte de chance, la cour d’appel avait retenu que le legs litigieux contenant une charge consistant dans l’obligation de conserver les biens qui en étaient l’objet et de les transmettre au second gratifié désigné dans l’acte, conformément aux dispositions de l’article 1040 du Code civil, ajoutait que le notaire n’aurait pas suffisamment attiré l’attention de M B et M R sur la différence entre un legs graduel et un legs résiduel, et que faute d’avoir pris en compte cette charge dans l’acte de parage, celui-ci était atteint d’une cause de nullité, de sorte que le manquement du notaire est directement à l’origine de la perte de chance pour M R d’hériter de la maison au décès de son père, retenant que la perte de chance est évaluée à 85 % du prix de vente de la maison sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une expertise.
La Cour de cassation a statué en ce sens que :
« En se déterminant ainsi, sans rechercher comme elle y était invitée, si en raison de l’erreur de la qualification du legs, Monsieur R n’avait pas bénéficié d’une économie d’impôt de nature à réduire son préjudice, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à cette décision ».
Selon l’article 1048 du Code civil, le legs graduel est celui qui impose une charge à celui qui en bénéficie consistant à devoir conserver le bien sa vie durant, et de les transmettre à son décès au second gratifié désigné.
Selon l‘article 1057 du Code civil, le legs résiduel est celui par lequel une personne sera appelée à recueillir ce qui subsistera du don ou legs fait à un premier gratifié à la mort de celui-ci.
Le notaire n’ayant pas su interpréter le testament valant legs graduel et non résiduel, a établi un acte de partage erroné générant un préjudice pour l’enfant du second défunt, mais la cour de cassation, en ne remettant pas en cause la responsabilité du notaire sur le fondement de la responsabilité délictuelle à l’égard du second gratifié, a toutefois amoindri les conséquences réparatoires en termes de préjudices indemnisables.
Ronit ANTEBI Avocate en droit des successions à Cannes
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