On peut imaginer qu’un concubin ou partenaire de pacs ait un enfant et se soucie de préserver les intérêts de son partenaire en léguant à ce dernier tout l’usufruit de sa succession.
On n’ignore pas que le légataire devra préserver la réserve héréditaire de l’enfant qui est de moitié en présence d’un enfant, selon l’article 913 du Code civil.
L’article 917 du Code civil dispose, quant à lui, que « Si la disposition par acte entre vifs ou par testament est d’un usufruit ou d’une rente viagère dont la valeur excède la quotité disponible, les héritiers au profit desquels la loi fait une réserve, auront l’option, ou d’exécuter cette disposition, ou de faire l’abandon de la propriété de la quotité disponible ».
La question est donc de savoir si le legs de l’usufruit au concubin « excède la quotité disponible ».
Car si tel est le cas, au décès du parent testateur, l’enfant a donc le choix entre deux solutions :
- Soit il consent au legs en usufruit ; il restera lié au concubin et cela pourrait engendrer des crispations si le concubin, légataire en usufruit n’est pas l’autre parent de celui-ci. Il y aura un démembrement de propriété. Ce ne sera qu’au décès du concubin légataire que l’enfant pourra espérer jouir de l’héritage.
- Soit abandonner au concubin la quotité disponible c’est-à-dire en présence d’un enfant, la moitié en pleine propriété. Le concubin et l’enfant seront en indivision. Au décès du concubin, l’enfant récupèrera sa moitié en pleine propriété et l’autre moitié ayant appartenu au concubin légataire sera transmise aux héritiers de ce dernier. Il faudra vendre le bien immobilier avec l’accord unanime de tous.
En présence d’un enfant et d’une concubine survivante, la question est de savoir si le legs du tout en usufruit excède la quotité disponible.
On pourrait répondre par l’affirmative en appliquant la « bonne vieille méthode » de la conversion de l’usufruit sur la base du barème fiscal de l’article 669 du Code Général des Impôts.
Si la concubine a 65 ans par exemple, en appliquant ce barème fiscal, son usufruit vaut 40 % de la valeur foncière du bien immobilier indivis. Le barème fiscal prévu par la loi est fonction de l’espérance-vie du bénéficiaire. Le legs ne pouvant excéder la moitié en pleine propriété de la succession (la quotité disponible), sauf à puiser dans la réserve héréditaire de l’enfant ce qui n’est pas autorisé par la loi, ici, le legs correspondant à 40 % et n’excédant donc pas 50 % de la valeur totale de l’actif successoral, ne serait pas réductible. L’on pourrait considérer que l’enfant n’aurait pas vocation à invoquer les dispositions de l’article 917 du Code civil.
Mais la Cour de cassation s’est montrée plus favorable aux intérêts des héritiers réservataires en décidant d’appliquer la méthode de l’ « imputation en assiette » des libéralités démembrées.
Dans un arrêt du 19 mars 1991, pourvoi n° 89-17.094, publié au Bulletin, la Cour de cassation a jugé en ces termes relatés :
“Attendu que Maria Veuve Y est décédée en laissant pour unique héritier son fils Félix et comme légataire son petit neveu Didier, aux termes d’un testament authentique attribuant à ce dernier l’usufruit d’une terre et d’une ferme, donnés à bail à long terme à ses parents, à charge pour lui de servir à Félix une rente viagère correspondant au montant du servage, la cour d’appel a rejeté la demande en réduction pour dépassement de la quotité disponible du legs fait à Didier.”
Vu l’article 913 du Code civil,
Attendu qu’il résulte de ce texte qu’aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi ;
Attendu que pour rejeter l’action en réduction, formé par Félix, à l’encontre du legs en usufruit consenti par sa mère au profit de Didier, la Cour d’appel a retenu qu’il ne pouvait y avoir de dépassement des revenus de la quotité disponible, se montant à la moitié des fermages en provenance du bien sur lequel porte l’usufruit, puisque du fait de la charge grevant le legs litigieux, le donataire était tenu de verser à titre de rente viagère, le montant de l’intégralité des fermages, à l’héritier réservataire, de sorte que l’usufruit légué ne procurait aucun avantage au légataire ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le legs susvisé avait pour effet de priver l’héritier réservataire du droit de jouir et de disposer des biens compris dans sa réserve, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (casse et annule).
La méthode consiste donc à établir deux masses distinctes, l’une en usufruit et l’autre en nue-propriété. Ainsi la quotité disponible se dédouble : il y aura une quotité disponible en nue-propriété et une quotité disponible en usufruit.
En présence d’une réservataire et d’un partenaire, si le seul actif de la succession est un immeuble de 100 000 euros en pleine propriété, on démembre fictivement la masse successorale soit 100 000 euros en usufruit et 100 000 euros en nue-propriété, avec dans les deux cas une réserve et une quotité disponible de moitié. On impute l’usufruit de 100 000 euros sur l’usufruit de la quotité disponible, soit un excédent de 50 000 euros en usufruit.
Une fois que le dépassement est révélé ainsi, on applique la sanction de la réduction laissant un choix au réservataire en vertu de l’article 917 du Code civil : soit laisser la libéralité en usufruit excessive s’exécuter au profit du légataire sans demander la réduction, ce qui permet de rester titulaire de la totalité en nue-propriété, soit demander sa réserve en pleine propriété qui sera de moitié en présence d’un enfant et abandonner en contrepartie le disponible ordinaire en peine propriété (qui est de l’autre moitié) au concubin survivant.
Telle est la situation de la jurisprudence actuelle qui fait en sorte que le legs en usufruit imputable sur la quotité disponible, devient, en présence d’un réservataire, plus facilement exposé à la réduction et notamment à la sanction prévue par l’article 917 du Code civil.
Une libéralité du tout en usufruit peut en effet être sanctionnée alors même que la valeur de l’usufruit s’avère inférieure à celle de la quotité disponible. C’est l’un des effets de la règle dite de « l’imputation en assiette » des legs et libéralités démembrés.
Maître Ronit ANTEBI Avocat