L’attribution préférentielle demandée par le conjoint survivant d’un bien déjà donné ou légué à d’autres héritiers
L’article 831 et suivants du Code civil donne la possibilité à un héritier, coindivisaire, conjoint survivant, de solliciter prioritairement un bien indivis dans le cadre de sa part d’héritage, à charge de soulte éventuelle.
Ces dispositions prescrivent en effet :
Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle :
- De la propriété ou du droit au bail du local qui lui sert effectivement d’habitation, s’il y avait sa résidence à l’époque du décès, et du mobilier le garnissant, ainsi que du véhicule du défunt dès lors que ce véhicule lui est nécessaire pour les besoins de la vie courante ;
- De la propriété ou du droit au bail du local à usage professionnel servant effectivement à l’exercice de sa profession et des objets mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession ;
- De l’ensemble des éléments mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un bien rural cultivé par le défunt à titre de fermier ou de métayer lorsque le bail continue au profit du demandeur ou lorsqu’un nouveau bail est consenti à ce dernier.
A défaut d’accord amiable, la demande d’attribution préférentielle est portée devant le tribunal qui se prononce en fonction des intérêts en présence.
En cas de demandes concurrentes, le tribunal tient compte de l’aptitude des différents postulants à gérer les biens en cause et à s’y maintenir.
Deux arrêts à retenir :
Civ 1ère, 30 octobre 1962, Légifrance (rejet) :
A l’occasion du partage successoral de Fernand, père de la dame Y, et de la dissolution de la communauté ayant existé avec son épouse, les époux Y ont demandé l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole dépendant desdites succession et communauté.
La cour d’appel a donné droit à cette demande.
L’épouse du défunt a introduit un pourvoi en cassation pour contester l’arrêt d’appel en soutenant que les époux Y auraient dû être éconduits dans leur demande d’attribution préférentielle.
Elle soutient que la volonté du défunt d’évincer sa fille et son gendre de l’attribution préférentielle dudit bien indivis ressort du contrat de mariage de ces derniers ainsi que d’un testament postérieur instituant son épouse légataire universelle.
Ainsi, il aurait réservé l’attribution préférentielle du domaine agricole à sa veuve.
La Cour d’appel examine le contrat de mariage des époux Y ; elle relève que ce contrat stipule que les époux Y exploiteraient à moitié le domaine agricole avec leurs parents en en cas de séparation, le domaine serait partagé en deux lots, sur l’un desquels jouiraient les époux X ou le survivant d’eux.
La Cour d’appel estime qu’il ne s’agit là que d’une société de ménage portant sur la jouissance de l’exploitation et non sur la propriété.
Si l’article 832 alinéa 3 du Code civil n’empêche pas le défunt d’exclure ses héritiers du droit de demander l’attribution préférentielle du domaine, encore faut il que cette exclusion résulte d’une manifestation de volonté formelle du de cujus ou d’une clause de son testament qui serait incompatible avec l’exercice d’une telle attribution.
La Cour de cassation statue en ce sens que les juges du fond ont apprécié souverainement les faits de la cause pour considérer à bon droit que ni le contrat de mariage du couple issu du défunt, ni le legs universel établi en faveur de son conjoint survivant ne traduisaient la volonté du défunt d’exclure ses héritiers d’une telle faculté de demander l’attribution préférentielle.
Civ. 1ère, 29 avril 1965, n° 63-10323 Juricaf (rejet) :
Par donation-partage, Y a transmis à ses trois filles, chacune pour un tiers, un ensemble de biens comprenant un domaine agricole sans que le donateur ait procédé à leur attribution.
Dame Z, l’une des codonataire a demandé l’attribution préférentielle du domaine agricole.
Sa soeur Dame X a fait grief à la décision de la cour d’appel d’avoir fait droit à la demande de sa sœur alors que la donation d’une quote-part indivise intervenue avant le décès du de cujus tandis que les article 832 et 832-1 du Code civil ne peuvent trouver application quant aux biens donnés antérieurement à l’ouverture de la succession.
L’article 831 du Code civil dispose :
Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s’il y a lieu, de toute entreprise, ou partie d’entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d’une telle entreprise, même formée pour une part de biens dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à l’exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement.
L’article 832 du Code civil dispose ainsi :
L’attribution préférentielle visée à l’article 831 est de droit pour toute exploitation agricole qui ne dépasse pas les limites de superficie fixées par décret en Conseil d’Etat, si le maintien dans l’indivision n’a pas été ordonné.
La Cour de cassation a de toute évidence estimé que l’établissement par le de cujus d’une donation-partage portant sur des quotes-parts indivises au profit de chacune de ses trois filles, de manière indéterminée, ne fait pas obstacle à la possibilité pour l’une d’elle de solliciter au jour du partage l’attribution préférentielle de la totalité dudit domaine.
La Cour de cassation s’en réfère à l’interprétation de la volonté du de cujus par les juges du fond.
L’exploitation agricole constituait en l’espèce une unité économique qui avait couvert les besoins du ménage depuis 1940 de Dame Z.
Le donateur avait en outre stipulé que le partage s’effectuerait ultérieurement entre ses trois enfants en nature et sans soulte par voie de partage amiable et de licitation.
La donation partage portant sur des quotes-parts indivises ne fait donc pas obstacle à la possibilité pour l’un des donataires de demander l’attribution préférentielle au sens des articles précités.
Au vu de ce qui précède, la faculté d’exercer l’attribution préférentielle conférée aux héritiers et au conjoint survivant est généralement préservée par les Tribunaux lesquels requièrent la manifestation d’une volonté claire et non équivoque d’évincer cette faculté et vont toutefois vérifier que le prétendant réunit suffisamment de conditions pour y être éligible dans l’intérêt de la succession.
Peut-être que la décision précitée ayant pour objet une donation-partage de quotes-parts indivises n’aurait pas été identique si elle portait sur des biens effectivement donnés en nature et de la sorte, rendus indisponibles par transmission de sorte que le coindivisaire n’aurait pas pu faire jouer cette faculté de demander l’attribution préférentielle d’un bien parfaitement identifié et déjà donné.
Publié le 10 août 2022
Bonjour, je teste les commentaires. merci