Le patrimoine est transmis aux héritiers du défunt. Le défunt a pu, de son vivant, procéder à des opérations onéreuses ou à titre gratuit. Il a pu ainsi organiser son patrimoine avant son décès.
L’hypothèse et celle de savoir ce qu’il se passe pour l’héritier lorsque son de cujus avait pris le soin de transmettre son patrimoine soit à un tiers, à soit un enfant autre que celui qui s’avèrera lésé au jour de l’ouverture de la succession.
Prenons l’exemple d’un arrêt de la Cour de cassation rendu le 3 mars 2021 (pourvoi numéro 19.19-687 première chambre civile, formation restreinte, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation).
Par acte authentique du 7 mai 2004, reçu en étude notariale, les époux H ont vendu à leur fils E et à son épouse, un ensemble immobilier composé d’une maison d’habitation à restaurer, une grange, un moulin, une maison en mauvais état et diverses parcelles de terre, bois, petit étang, au prix de 120 000€, outre 8 000€ pour les frais d’acte et 5 476 € de droit d’enregistrement. Ces frais d’acte et d’enregistrement ont été pris en charge par les vendeurs.
Seuls trois des cinq enfants du couple vendeur avaient donné leur consentement à ladite vente.
L’une des cohéritières estimait que la vente avait été opérée moyennant vil prix et qu’en réalité, la valeur de l’ensemble immobilier prétendument vendu, était de 530 000 euros.
Elle ne produit cependant pas l’avis de valeur d’un agent immobilier.
Elle se contente de présenter des calculs sur la rentabilité locative du bien.
Elle développe l’idée que des travaux de rénovation ont été effectués après la cession et qu’ils ont été entièrement financés par les parents donateurs.
Elle soutient donc que cette vente s’apparente à une donation déguisée en raison de la vileté du prix de vente et de la prise en charge des frais d’acte par les époux H.
Elle demandait la désignation d’un expert judiciaire pour faire évaluer la valeur de l’ensemble immobilier et voir dire que le prix pratiqué était vil de sorte que la transaction qui présentait l’apparence d’une vente onéreuse n’était finalement qu’une donation déguisée ou indirecte.
La Cour d’appel de Bordeaux a rejeté la demande d’expertise en considérant que l’appelante ne produisait pas le moindre début de preuve de ce qu’elle alléguait et que la mesure d’expertise sollicitée ne pouvait suppléer sa carence dans la l’administration de la preuve.
Elle a jugé que cette vente n’était pas déguisée ni indirecte. Elle ne répond pas à la définition de l’article 894 du Code civil qui exige la preuve de l’élément intentionnel (volonté de donner) et l’élément matériel (transfert de propriété).
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en cassation en confirmant l’arrêt d’appel.
La Cour de cassation a profité de l’occasion de l’arrêt qu’elle rendait pour rappeler la définition des donations déguisées et fictives, lesquelles se distinguent des donations entre vifs.
Car il existe deux techniques de dissimulation qui s’offrent aux particuliers lorsqu’ils ne peuvent pas se contenter d’une tradition manuelle.
Ils peuvent mentir dans l’acte juridique auquel ils recourent. Ils passent une vente notariée mais ils s’entendent entre eux pour que les acquéreurs ne paient pas le prix stipulé. Il s’agirait d’une vente fictive.
Ils peuvent emprunter un mécanisme juridique dont ils taisent le caractère gratuit, sans qu’il y ait pour autant mensonge dans l’acte instrumentaire.
La donation indirecte « ne ment pas » ; elle repose sur une situation, un fait juridique sincère même s’il ne dit pas son nom. Il peut s’agir d’un avantage qui est consenti au donataire de son choix mais qui n’a pas fait l’objet d’un acte passé en la forme authentique. Il peut s’agir de la mise à disposition d’un bien immobilier, d’une parcelle de terres dont le caractère gratuit n’est pas évoqué. Il peut s’agir encore du financement de travaux de rénovation pris en charge, après cession, par les vendeurs au profit des acquéreurs.
Dans l’arrêt de la Cour de cassation, l’une des héritières redoutait l’existence d’une vente fictive, celle dont le prix n’est pas réaliste, et dont le prix ne sera jamais acquitté par les présupposés acquéreurs.
En sus, le fait de faire exécuter des travaux de rénovation aux frais des parents vendeurs s’assimilait selon elle, à une donation indirecte.
Le déguisement de la donation ne se présume pas. C’est à celui qui s’en prévaut de démontrer qu’il y a eu simulation. La preuve peut être apportée par tous moyens.
L’héritier qui demande le rapport ou la réduction d’une donation déguisée ou indirecte peut apporter de simples présomptions.
En l’espèce, la Cour d’appel, suivie en cela par la Cour de cassation, a jugé que le prix de vente n’était pas vil car la maison d’habitation avait été vendue alors qu’elle était dans un état de dégradation avancée. Cela ressortait du procès-verbal de constat d’huissier qui avait été produit par les acquéreurs.
Le relevé de compte notarial faisait montre de plusieurs paiements effectués au vu de la comptabilité du notaire par les acquéreurs eux-mêmes.
Les frais de vente avaient, certes, été assumés par les vendeurs. Mais l’article 1593 du Code civil qui précise que les frais d’acte et autres accessoires à la vente sont à la charge de l’acheteur, n’a qu’un caractère subsidiaire, les parties pouvant y déroger sans que cela constitue pour autant une donation indirecte.
En conclusion, les ventes à prix modeste ne sont pas toutes systématiquement requalifiées par la jurisprudence en donations déguisées. Les travaux de rénovation dont le doute subsiste quant aux origines et modalités de financement ne sont pas systématiquement requalifiés en donations indirectes.
Tout dépendra de la preuve que l’on verse aux débats. Même si cette preuve est libre, elle peut s’avérer difficile à apporter. En pratique, elle peut s’avérer insuffisante pour établir l’existence d’une donation déguisée ou indirecte.
Cette jurisprudence laisse donc le champ libre à la possibilité de déshériter un enfant ou un proche par le recours à une transaction translative de propriété, outil légal pouvant prendre la forme légale en matière immobilière, d’une vente fictive, et ce, afin de « vider » son patrimoine de toute substance et de léser un héritier.