Un arrêt de la cour de cassation rendu le 15 mai 2013 illustre bien les difficultés que l’on peut rencontrer pour interpréter et comprendre le libellé d’une clause bénéficiaire d’une assurance-vie, dont le vocable était en l’occurrence ambigu (civ 1ère, 15 mai 2013, pourvoi n° 11-20.026, Légifrance).
Emilienne a établi un testament olographe le 25 juin 1998.
Elle lègue « ma maison et mon argent au jour de mon décès » à la Ligue contre le Cancer et à l’Association des Paralysés de France.
Elle souscrit des contrats d’assurances-vie dont la clause bénéficiaire est libellée comme suit : « son conjoint séparé de corps, à défaut ses enfants adoptés ou reconnus, par parts égales entre eux, la part du prédécédé revenant à ses descendants, ou à ses frères et sœurs s’il n’a pas de descendant, à défaut ses héritiers ».
Elle décède le 2 octobre 2005.
Elle laisse pour lui succéder ses trois sœurs et deux neveux.
Revendiquant leurs qualités de bénéficiaires des assurances-vie, l’une des sœurs et l’un des neveux agissent en justice pour réclamer les capitaux garantis.
La Cour d’appel de Rouen a jugé que les associations étaient bénéficiaires desdites assurances-vie.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en considérant que l’arrêt rendu manquait de base légale.
En effet, elle n’avait pas qualifié les legs dévolus aux associations.
Commentaire :
La clause de bénéficiaire peut mentionner que le capital garanti sera attribué aux « héritiers ». Pas de difficultés si le souscripteur laisse des héritiers réservataires. L’assurance-vie bénéficiera aux héritiers réservataires.
La présente difficulté tient au fait que la souscriptrice n’a pas laissé d’héritiers réservataires mais seulement des héritiers de rang subséquent pouvant être exhérédés par simple testament.
La clause bénéficiaire a été mal rédigée car elle utilise un vocable qui est ambigu dans la mesure où l’héritier recouvre plusieurs qualités au sens du droit des successions.
La question qu’aurait dû se poser la cour d’appel est celle de savoir si en l’occurrence, en léguant sa maison et son argent, la testatrice avait consenti aux associations désignées un legs universel ou un legs particulier.
Le legs universel est celui par lequel l’auteur attribue au bénéficiaire la totalité de son patrimoine existant au jour du décès.
Le legs à titre universel est celui par lequel il est attribué une quote-part de son patrimoine.
Le legs particulier est celui par lequel le testateur lègue au bénéficiaire un bien ou des biens particuliers.
Seul le légataire universel est considéré comme un héritier au sens du droit des successions.
Pour les demandeurs, le terme « héritier » figurant dans la clause bénéficiaire, désigne sans contestation possible, les sœurs et les neveux de la souscriptrice.
Pour les demandeurs, le testament d’Emilienne vise la maison et l’argent à l’exception du capital garanti de sorte qu’il n’institue pas les associations légataires universelles mais seulement légataires particuliers. Les associations n’étant pas légataires universelles, elles ne doivent pas être qualifiées d’« héritiers » au sens de la clause bénéficiaire.
La cour d’appel a dit que les associations étaient bénéficiaires des assurances-vie sans dire pour autant si elles étaient légataires universelles d’après le testament.
Or si elles sont déclarées légataires universelles, elles sont héritières au sens de la clause bénéficiaire.
Si elles ne sont que légataires à titre particulier, elles ne sont pas héritières au sens du droit des assurances.
La décision des Juges du fond a été cassée par la Cour suprême car elle a failli dans sa motivation juridique.
La Cour d’appel, pour motiver sa décision, a fait référence à une lettre du notaire chargé de la succession, adressée au neveu en 2006 et disant que la succession est entièrement dévolue aux associations et que « vous n’avez aucun droit, n’étant pas héritier réservataire ».
En se déterminant ainsi par simple référence à l’interprétation de l’officier public et sans analyser les dispositions testamentaires qui lui étaient soumises, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs impropres à établir l’existence d’un legs universel et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1002, 1003 et 1134 du Code civil.
La définition des héritiers n’est pas identique en droit des assurances et en droit des successions. Le bénéficiaire d’une assurance-vie n’est pas toujours l’héritier d’une succession. En l’occurrence, la clause bénéficiaire visait les héritiers. La jurisprudence a estimé que la souscriptrice avait entendu gratifier les associations selon une motivation contestable mais pour la raison qu’il fallait dire que le testament avait institué lesdites associations légataires universelles car la testatrice avait légué tout son patrimoine alors que l’assurance-vie non mentionnée dans le testament est hors succession de sorte que c’est bien l’universalité du patrimoine qui a été léguée auxdites associations, les sœurs et neveux n’étant qu’héritiers non réservataires et en l’occurrence exhérédés. Les légataires universelles ont primé sur les héritiers non réservataires.
Tout ce raisonnement pour essayer d’une certaine façon de reconstituer la volonté réelle de la souscriptrice d’assurance, ce qui n’est pas toujours chose aisée.
La clause bénéficiaire de l’assurance-vie visant les « héritiers » désigne les légataires universels, en l’absence d’héritiers réservataires.
Me Ronit ANTEBI Avocate à Cannes
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