Dans un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 13 février 2018 (pourvoi n°17-86.952, Légifrance), l’arrêt de la chambre de l’instruction ordonnant le renvoi du mis en examen du chef de tentative d’assassinat devant la Cour d’assises, a été jugé dépourvu d’erreur, d’insuffisance comme de contradiction et il a été dit que la chambre de l’instruction avait correctement justifié sa décision en droit en retenant la responsabilité pénale.
En l’espèce, M Nessim Z … avait frappé à l’arme blanche Mme Alicia …
Il avait été mis en examen du chef de tentative d’assassinat.
Plusieurs examens psychiatriques avaient relevé l’existence d’un trouble mental ayant aboli le discernement de l’agresseur.
D’autres examens, psychiatrique ou psychologique, avaient au contraire retenu une possibilité d’accès à la sanction pénale.
Aux termes de son information, le Juge d’instruction a considéré qu’il existait des charges suffisantes contre M Nessim Z… d’avoir commis les faits reprochés.
Comme se posait la question de la responsabilité pénale du mis en examen, le Juge d’instruction a transmis le dossier de procédure au Procureur général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction.
La Chambre de l’instruction a statué en ce sens que le mis en examen devait être déféré devant la Cour d’assises pour être jugé des faits qui lui étaient reprochés et qu’il n’était pas irresponsable pénalement.
Elle a motivé sa décision en ce sens que « si deux expertises concluent à l’abolition du discernement de M Z… et une expertise n’en retient que l’altération, il résulte des pièces de la procédure ainsi que des débats que plusieurs éléments objectifs militent cependant en faveur non d’une abolition mais d’une simple altération de son discernement au moment des faits ».
La chambre de l’instruction a examiné les souvenirs précis du mis en examen, le mécanisme de son état au domicile de sa victime, le choix d’armes en contradiction avec un état de démence ou de fureur maniaque décrit par certains experts, les traces chez le mis en examen d’une personnalité pouvant être séductrice, hystériforme, égocentrée, manipulatrice, l’absence d’un quelconque suivi psychiatrique de M Z… avant les faits.
Les juges ont ensuite évoqué la consommation importante de stupéfiants « qui ne doit pas s’analyser comme une cause d’abolition du discernement mais au contraire comme une circonstance aggravante ».
Ils ont ajouté que l’analyse psychologique relève une fragilité psychique dans le registre de la persécution.
M Z…, en détention, se présentait à chaque convocation du suivi médico psychologique mais après chaque consultation, il refusait la mesure de prise en charge proposée.
Le Directeur de l’établissement en a déduit que le comportement du détenu procédait d’une manipulation envers les services de santé.
Le mis en examen invoquait l’amnésie au moment des faits.
La Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la chambre de l’instruction qui avait jugé en faveur d’une responsabilité pénale au motif qu’elle avait consacré une appréciation souveraine des faits de la cause, au regard des éléments objectifs du dossier pour aboutir à la reconnaissance de l’absence d’abolition du discernement.
Selon l’article L 122-1 du Code pénal, « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
Cette disposition textuelle invite à s’assurer de l’existence d’un trouble mental au moment des faits uniquement.
La loi ne s’intéresse pas à la question de savoir quelle est la cause de la survenance d’un tel trouble mental.
Elle ne se demande pas si le mis en examen avait eu un parcours psychiatrique avant la commission des faits incriminés.
Ce texte laisse la voie à des incertitudes.
Sur la notion de trouble psychique ou neuropsychique, il y a un aléa. Les experts ne sont pas toujours d’accord entre eux.
Si le texte est d’interprétation stricte comme tous ceux de droit pénal, reste, comme le dit la Cour de cassation, que la chambre de l’instruction en l’espèce avait un pouvoir d’appréciation souverain au regard des éléments objectifs de l’espèce.
Elle a, en l’occurrence, jugé que la consommation importante de stupéfiants avant la commission de la tentative d’assassinat n’exonérait pas le mis en examen de sa responsabilité pénale et qu’il restait accessible à la sanction.
Les Juges ont donc une certaine marge d’appréciation quant à la qualification de trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement.
Qu’en est-il en cas d’ingestion de produits toxiques ?
Cette question prend tout son sens dans une société contemporaine devenant gangrénée par la prolifération non seulement du cannabis mais aussi des comprimés ressemblant à des « bonbons » contenant des molécules de synthèse aux effets divers et variés toujours plus recherchés et faciles d’accès par la voie des réseaux sociaux et des messageries par internet, non contrôlés.
En l’état de la jurisprudence, il est certain que l’état d’intoxication peut conduire à un délire qui serait qualifié de trouble mental ayant aboli le discernement au sens de l’article L 122-1 du Code pénal soit quand cet état est devenu chronique, soit quand le consommateur qui aurait pris un excitant chimique ou autre drogue avait connaissance de ses effets sur son psychisme.
(CA Paris 20 mars 1986, Juris Data n°1986-124192)
Si un consommateur prend un stupéfiant en connaissance de cause, en sachant les effets que cela pourrait produire sur lui, notamment en lui donnant le courage de commettre le crime, alors la jurisprudence juge que cette consommation de toxique est une circonstance aggravante et va même jusqu’à considérer qu’il y a préméditation.
Qu’en est-il de l’incidence sur l’élément moral de l’infraction criminelle de la consommation volontaire de produits stupéfiants dont le consommateur connaît les effets, sans spécialement les rechercher ?
Sur ce point, la jurisprudence n’est pas tranchée.
En pratique, on s’en remet à l’appréciation souveraine des juges du fond en matière criminelle et les avocats du mis en examen vont chercher à plaider l’absence d’intention coupable pour obtenir un acquittement, ce qui suppose la tenue d’un procès.
Dans certaines espèces, on peut légitimement être dans l’impossibilité de répondre à la question de savoir pour quelle raison le mis en examen a pris des stupéfiants avant les faits incriminés ? On peut ignorer s’il en connaissait les effets ? Ni s’il les recherchait spécifiquement ?
Il serait réellement plus commode en pratique d’exempter les juges d’avoir à entrer dans ce genre de considérations et de nuances auxquelles il est parfois impossible de répondre, même en vertu d’expertises pouvant être contradictoires entre elles.
Il serait judicieux et mieux ressenti par les victimes de voir le texte préciser que l’ingestion de stupéfiants ou autre produit chimique ou toxique naturel ou de synthèse, quelles que soient les motivations de cette consommation (pour se donner du courage pour passer à l’acte, pour le « fun », par désespoir social, en pensant que cela aide à lutter contre le spleen de la société contemporaine, en connaissant ou pas ses effets, en les recherchant spécifiquement ou pas) est considéré comme une circonstance aggravante si le mis en examen a commis l’acte criminel alors qu’il s’est mis volontairement sous son emprise.
Cela paraît être la moindre des choses que la loi pose le droit en ces termes, en matière criminelle car en matière délictuelle, nombre d’infractions permettent déjà de poursuivre le prévenu ayant commis des violences sur conjoint ou conduit avec excès de vitesse en qualifiant cette consommation d’alcool ou de toxiques de « circonstance aggravante » et ce, quels que soient les effets recherchés.
Cette précision textuelle de nature, non pas à combler un « vide juridique », mais à « purger » une absurdité juridique au sens d’ « incohérence juridique » persistante dans notre droit, permettrait d’éviter de donner le sentiment au Peuple souverain que Justice n’est pas rendue dans les affaires les plus graves.
A réfléchir de manière plus philosophique, on pourrait dire que la complexité de l’âme humaine ne permet pas de savoir à partir de quand une personne est « folle » (affectée d’un trouble psychique abolissant son discernement). Les meilleures expertises psychiatriques peuvent ne pas savoir quel était l’état exact du criminel au moment des faits.
Il serait d’ailleurs entendable et imaginable que toutes les personnes soient jugées, quel que soit le trouble psychique, insignifiant, altérant ou abolissant le discernement, et que les prisons soient structurées de façon à les accueillir dans des conditions humanistes selon des secteurs spécifiques à leur pathologie ou absence de pathologies, après un procès juste et équitable.
Au moment de son procès, s’il reste affecté d’un trouble mental au jour où il doit être entendu et jugé, qui ne le mettrait pas en disposition d’en comprendre le sens pour sa défense, l’accusé pourrait être représenté par un mandataire ad hoc qui aurait accès à son dossier pénal et pourrait veiller à lui assurer une défense équitable.
On voit bien que cela est possible dans notre système de droit puisque devant le Juge de la liberté et de la détention, en matière d’hospitalisation sans consentement, lesdites personnes affectées d’un trouble mental qu’elles soient sous tutelle ou pas, sont déjà assistées par leur avocat.
De plus, on voit l’incohérence du système puisque le mis en examen qui n’est pas affecté d’un tel trouble mental au moment des faits pourrait très bien le devenir au jour de son procès et dans ce cas, il n’échapperait pas à un procès ni à la sanction pénale. Le Président pourrait le cas échéant dispenser d’assister aux audiences. Si au contraire, le mis en examen est affecté d’un trouble mental au moment des faits, il n’y aura pas de procès.
Plus largement, en pratique, l’article L 122 -1 du Code pénal tel qu’il est rédigé aujourd’hui est dangereux car tandis que la société occidentale contemporaine est menacée par le terrorisme, on pourrait imaginer que les auteurs d’attentats soient systématiquement en pratique susceptibles d’échapper à la sanction pénale pour irresponsabilité pénale s’ils prouvent qu’en consommant de la drogue avant le passage à l’acte alors qu’ils en connaissaient les effets mais qu’ils ne les recherchaient pas spécifiquement pour se donner du courage ou faciliter le passage à l’acte car ils sont entrainés.
La transformation de cette loi est donc une urgence vitale.