Lorsque le contrat d’assurance-vie est arrivé à échéance, par décès du souscripteur, l’assureur est tenu de payer le capital prévu au contrat.
Il doit identifier le ou les bénéficiaires ; il doit déterminer le montant à délivrer.
Depuis la loi du 17 décembre 2007, un délai de paiement est imposé aux assureurs.
Ainsi, l’article L 132- 23-1 du Code des assurances prescrit-il :
« L’entreprise d’assurance dispose d’un délai de quinze jours, après réception de l’avis de décès et de sa prise de connaissance des coordonnées du bénéficiaire ou au terme prévu pour le contrat, afin de demander au bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie de lui fournir l’ensemble des pièces nécessaires au paiement.
A réception de ces pièces, l’entreprise d’assurance verse, dans un délai qui ne peut excéder un mois, le capital ou la rente garantis au bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie.
Plusieurs demandes de pièces formulées par l’entreprise d’assurance ne peuvent concerner des pièces identiques ou redondantes.
Au-delà du délai de quinze jours mentionné au premier alinéa, le capital produit de plein droit intérêt au double du taux légal durant un mois puis, à l’expiration de ce délai d’un mois, au triple du taux légal.
Au-delà du délai prévu au deuxième alinéa, le capital non versé produit de plein droit intérêt au double du taux légal durant deux mois puis, à l’expiration de ce délai de deux mois, au triple du taux légal. … »
Depuis ces dernières dispositions, on note en pratique que les compagnies d’assurance-vie s’empressent de délivrer le capital aux bénéficiaires identifiés dans les meilleurs délais et notamment dans le délai légal d’un mois à compter de la réception des pièces nécessaires au traitement de la demande.
Or, le souscripteur est seul habilité à désigner un bénéficiaire, à y substituer une autre personne (sauf acceptation par le bénéficiaire), à n’importe quel moment de sa vie et sous n’importe quelle forme et sans obligation d’en informer l’assureur (cass. civ 1ère, 13 mai 1980 JCP G 1980, II, 19438 ; RGAT 1980, p 527).
En pratique, le souscripteur peut changer de bénéficiaire tout au long de son existence, par testament, et il n’en informe pas l’assureur-vie qui, le moment venu, croit pouvoir faire application de la clause bénéficiaire ayant précédé ledit changement.
L’article L 132-25 du Code des assurances dispose que : « En cas de désignation d’un bénéficiaire par testament, le paiement des sommes assurées, fait à celui qui, sans cette désignation, y aurait eu droit, est libératoire pour l’assureur de bonne foi. »
Il résulte de cette prescription légale que l’assureur-vie est présumé être de bonne foi dans l’identification des bénéficiaires à qui il a pu avoir délivré le capital au décès du souscripteur.
Toutefois, la jurisprudence a mis à la charge de l’assureur-vie une obligation de prudence à l’occasion de la délivrance du capital au bénéficiaire et a pu statuer en ce sens que la responsabilité civile délictuelle de ce dernier pouvait être engagée à l’égard du nouveau bénéficiaire privé de ses capitaux, s’il apportait la preuve d’un tel manquement.
Dernièrement, la jurisprudence de la cour de cassation a condamné un bénéficiaire identifié par erreur à restituer au nouveau bénéficiaire désigné le montant du capital-décès avec les intérêts légaux capitalisés.
Dans un arrêt de rejet du 10 mars 2022, rendu par la deuxième chambre civile de la cour de cassation (pourvoi n° 20-19.655, publié au Bulletin), un souscripteur d’assurance-vie auprès de la compagnie GAN VIE avait initialement désigné son fils ou à défaut, son épouse comme bénéficiaire du capital garanti. Il avait informé l’assureur de la modification de la clause bénéficiaire en faveur de son épouse, par lettre du 20 juin 1982. A son décès, l’épouse a obtenu le règlement du capital garanti, qui lui a été versé le 17 octobre 1991. Le fils du souscripteur a assigné la conjointe survivante en restitution de ce capital, en se prévalant de l’intention posthume de son père à le désigner comme bénéficiaire.
La cour d’appel de Paris (statuant sur renvoi après cassation) a rendu un arrêt le 1er juillet 2020 aux termes duquel elle a condamné la conjointe survivante à payer au fils du souscripteur la somme de 132 379, 41 euros avec intérêts de droit capitalisés à compter de l’assignation du 12 septembre 2008 en application de l’article 1154 du civil.
La conjointe soutenait, à l’appui de son pourvoi en cassation, que le souscripteur d’une assurance-vie peut changer de bénéficiaire à tout moment jusqu’à son décès, dès lors que l’assureur a eu connaissance de la volonté certaine et non équivoque du stipulant ; qu’en l’espèce, le souscripteur était décédé le 1er septembre 1990, qu’il avait écrit une lettre modificative en date du 29 juillet 1987 par laquelle il donnait les instructions au notaire pour effectuer les démarches afin que le capital soit bloqué sur le compte de son fils, que le notaire désigné n’avait transmis cette lettre modificative à la compagnie GAN VIE que tardivement, le 18 octobre 1991, et qu’en conséquence, jusqu’au décès du souscripteur et à la date de la délivrance du capital, l’assureur-vie n’était pas informé de la modification ultérieure du nom du bénéficiaire ; la Cour d’appel aurait, selon elle, violé l’article L 132-8 du Code des assurances (« … En l’absence de désignation d’un bénéficiaire déterminé dans la police ou à défaut d’acceptation par le bénéficiaire désigné, le souscripteur de la police a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution se fait soit par testament, soit entre vifs par voie d’avenant, ou en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du code civil ou, quand la police est à ordre, par voie d’endossement).
La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’arrêt d’appel en considérant que : « la désignation ou la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie, que l’assuré peut, selon l’article L 132-8 du Code des assurances dans sa rédaction applicable au litige, opérer jusqu’à son décès n’a pas lieu, pour sa validité, d’être portée à la connaissance de l’assureur lorsqu’elle est réalisée par voie testamentaire ».
C’est donc à bon droit que l’arrêt d’appel a pu retenir que la lettre de changement de bénéficiaire au profit du fils du souscripteur, datée du 29 juillet 1987, devant s’analyser comme un testament olographe, est une modalité de désignation du bénéficiaire qui est valable même si elle n’est pas portée à la connaissance de l’assureur.
Dès lors, par suite de la délivrance du capital à la conjointe plutôt qu’au fils du souscripteur, la cour d’appel a condamné la conjointe survivante à restituer au fils, nouveau bénéficiaire désigné, le capital délivré.
On voit ainsi comment l’empressement des assureurs à délivrer le capital décès dans le délai légal peut avoir un effet contre-productif puisqu’il faut parfois le temps de pouvoir identifier les bénéficiaires, et que les compagnies d’assurance ne le saisissent plus toujours afin d’éviter une exposition aux intérêts légaux et de manière générale, pour préserver leurs deniers. De sorte que cette disposition légale (L 132-23-1 du C. ass.) s’apparente parfois à une « course contre la montre » pouvant engendrer des erreurs voire pousser à commettre des fautes.
Certes, les assureurs vont opposer la disposition légale selon laquelle le paiement est libératoire en cas de changement de bénéficiaire par voie testamentaire.
Cependant, une autre jurisprudence met à la charge de l’assureur-vie une obligation de prudence pouvant aller jusqu’à les inviter formellement à opérer un blocage des capitaux dans l’attente des renseignements indispensables à la bonne identification du ou des bénéficiaires.
Me Ronit ANTEBI
Avocate en droit des successions au barreau de Grasse