Un couple parental marié sous le régime de la communauté de meubles et acquêts, décède en 2001 et 1997.
Des difficultés portant sur la liquidation du régime matrimonial et de leurs successions se sont élevées entre leurs deux fils, C et H.
Le père était propriétaire d’un fonds de commerce qu’il avait acquis en 1955. A partir de 1972, le fonds de commerce est exploité par « H » qui se comporte comme l’unique exploitant.
Son frère C soutient que ledit H l’avait discrètement cédé aux époux K par acte notarié ede1976 au prix de 57.337 euros, qu’il avait directement perçu.
C demande que H rapporte à la succession la valeur du fonds de commerce en sus des fruits et des intérêts légaux.
H soutient que le fonds de commerce n’a pas fait l’objet d’une donation déguisée (rapportable) ni d’un acte de cession déguisée, et qu’aucune intention libérale de son père à son profit n’a été démontrée.
Mais la Cour d’appel juge que l’acte notarié de 1976 ayant pour objet la cession du fonds de commerce aux consorts K, présente H en qualité de « vendeur », les consorts « K » apparaissant comme acquéreurs.
Or, H ne communique pas l’acte initial par lequel il aurait fait initialement acquisition dudit fonds de commerce alors qu’il est par ailleurs établi que ce fonds a été acquis le 24 janvier 1955 par son père.
En outre, la Cour observe que le père avait été radié du registre du commerce et des sociétés d’Ajaccio le 3 janvier 1972 pour motif « cessation d’activité » depuis décembre 1971 et que son fils H a été inscrit à ce même registre à compter de janvier 1972, pour une activité de « papeterie, fourniture de bureaux… », en exploitation personnelle.
Sans qu’une procédure d’inscription de faux ne soit nécessaire pour contester l’acte notarié de 1976, il résulte clairement de ces divers éléments que H sous la qualité de « vendeur, a procédé à la vente aux consorts « K » du fonds de commerce qui appartenait encore à son père, et qu’il l’exploitait en réalité seul ainsi qu’il résulte du registre du commerce et des sociétés depuis 1972.
La Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE, dans son arrêt du 16 mai 2018, a jugé que ces éléments permettent de dire que c’est bien « H » qui a perçu directement le prix de vente du fonds de commerce exploité par lui depuis 4 ans, et non son père et qu’il a également perçu les fruits de 1973 à 1976.
Ces fruits ont été évalués au vu des bilans. H qui critique ces bilans, ne produit aucun autre élément comptable permettant de remettre en cause ces bilans.
En conséquence, la Cour d’appel dit que « H » a bénéficié d’une somme totalisant 125.938 euros qui lui a été donnée de façon dissimulée par le père au fils H. La dissimulation résulte de la présence de « H » comme seul vendeur à l’acte de vente de 1976 alors qu’aucun acte de cession n’était intervenu entre le père et le fils H pour des raisons évidentes de dissimulation.
En agissant ainsi, le père s’est dépouillé irrévocablement en faveur de son fils « H » de la valeur du fonds de commerce en s’appauvrissant du prix de vente et des fruits depuis 1972.
En conséquence, le cohéritier réservataire peut considérer qu’il s’agit d’une donation déguisée ayant excéder la quotité disponible de moitié en présence de deux enfants et peut demander une indemnité de réduction correspondant à l’excédent, et non le rapport de la donation.
C demande cependant le rapport de la donation à la succession et la condamnation de son frère H à la peine du recel successoral puisque lors de l’établissement de l’actif, H avait dissimulé cette transaction. De la sorte, H sera privé de toute part successorale sur ladite somme rapportée.
Cette somme portera en outre intérêts au taux légal à compter de l’ouverture de la succession.
Mais la Cour de cassation ne l’entend pas ainsi.
Dans son arrêt de cassation partielle, du 18 mars 2020 (pourvoi n° 18-19650, Légifrance), la Cour suprême sanctionne les juges du fond pour n’avoir pas caractérisé suffisamment l’intention libérale par laquelle le donataire exprime la volonté de se dépouiller irrévocablement au profit du gratifié.
« Pour ordonner le rapport par H à la succession de E (père) de la somme de 125.938 euros représentant la valeur du fonds de commerce et des fruits et dire qu’il n’aura aucune part successorale sur cette somme, après avoir constaté que l’acte notarié du 6 janvier 1976 mentionne H sous la qualité de vendeur du bien litigieux, quand celui-ci ne faisait qu’exploiter seul le fonds de commerce depuis le 1er janvier 1972, ce bien appartenant encore à son père, l’arrêt retient qu’il en a perçu le prix de vente et ajoute qu’en agissant ainsi sans qu’aucune contrepartie ne soit démontrée, le défunt s’est dessaisi de façon irrévocable en sa faveur.
En statuant ainsi, sans constater l’intention libérale du donateur, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
L’arrêt de la cour d’appel du 16 mai 2018 est donc cassé en ce qu’il a ordonné le rapport à la succession du père de la somme de 125.938 euros, et dit que H n’aura aucune part successorale.
En conclusion, pour retenir la qualification de donation déguisée, il ne suffit pas de prouver la matérialité de la transaction dissimulée. Encore faut (il établir que le donateur avait la réelle intention de s’appauvrir sans contrepartie au profit du donataire en lui procurant un enrichissement à ses dépens.
Si cette intention ne ressort d’aucun élément, on ne peut invoquer sans risque la notion de donation déguisée rapportable ou réductible. Il est préférable dans ce cas, de parler simplement de recel successoral (article 778 du Code civil) et de démontrer qu’il y a eu des manœuvres dolosives de la part de l’héritier en vue de s’allouer un avantage personnel au détriment de l’équité du partage, l’élément intentionnel devant être établi par ailleurs.
Civ 1ère, 18 mars 2020, pourvoi n° 18-19650, Légifrance