Un arrêt de la cour d’appel de Poitiers en date du 10 mai 2022 (n°20/01925 DALLOZ) SAS Etude Généalogique GUENIFEY C/ X … mérite d’être examiné.
Certes, il ne fait pas jurisprudence mais il montre comment les Juges du fond raisonnent en présence d’un « contrat de révélation » que le généalogiste désigné par le notaire en charge des opérations successorales, tentait d’imposer au frère de la défunte, héritier âgé, placé sous tutelle et donc vulnérable.
En cette espèce, Mme Z est décédée le 7 avril 2017, âgée de 83 ans.
Elle n’a laissé ni conjoint survivant ni enfant.
Elle n’a pas établi de testament.
Me AUDEUX notaire à SERGINES (89) a été en charge des opérations successorales.
Le 18 mai 2017, il confiait la mission de rechercher les héritiers de la défunte à l’étude généalogiste G.
Le 8 août 2017, le généalogiste écrivait au frère en lui indiquant « être mandaté par le notaire pour retrouver les héritiers dans une succession ouverte entre les mains d’un notaire. A l’issue de ces recherches, j’ai pu établir que vous auriez des droits dans cette succession dont vous ignoriez à ce jour l’existence. Dès lors, je me propose de vous révéler l’origine de cette succession, aux conditions indiquées dans le contrat que je vous prie de bien vouloir trouver en pièce jointe. Ce contrat n’a pour autre but que de reconnaître l’utilité de notre intervention et de fixer notre rémunération, contrepartie des investigations réalisées. Conformément à l’usage de notre profession, le nom du défunt, le lien de parenté et la composition de cette succession vous seront révélés à réception de votre contrat dûment signé, et lorsque l’ensemble des héritiers aura pu être localisé. Je vous proposerai ensuite de vous représenter, par le biais d’un mandat de représentation dans les opérations de règlement de la succession auprès du notaire liquidateur. Au terme de ces opérations, nous procèderons simplement au versement de la part vous revenant diminuée du montant de notre intervention. Il est transmis deux exemplaires du contrat de révélation ; le premier à signer au recto, à parapher au verso et à me retourner avec la fiche de renseignements ci-joint ».
Par courrier du 16 août 2017, le frère répondait au généalogiste en lui indiquant ses coordonnées, en lui précisant son lien de parenté avec sa sœur, ajoutant : « face à une succession si peu compliquée, il me semble inutile de faire appel à votre service pour des recherches en généalogie, c’est pourquoi je vous notifie par la présente ma rétractation du contrat portant sur votre intervention ».
Par courrier du 31 août 2017, le généalogiste apportait des précisions complémentaires nécessaires « à la bonne compréhension de la convention que je me propose de vous faire signer ».
Le généalogiste assurait qu’il avait été mandaté par le notaire et que c’est grâce à son intervention que le frère a pu faire valoir sa qualité héréditaire.
Le généalogiste proposait donc une diminution de ses honoraires, lui laissant le soin de revenir vers lui le cas échéant.
Le 12 septembre 2017, le frère écrivait au notaire, se présentant comme le frère de la défunte, s’excusant de ne pas s’être manifesté à lui avant.
Par courrier du 1er octobre 2017, le généalogiste revenait vers le frère héritier pour lui indiquer : « je me dois de vous informer que si aucun accord ne peut être trouvé quant au règlement de nos honoraires, dans les plus brefs délais, nous n’hésitons pas à faire valoir notre droit à rémunération en justice sur le fondement de la gestion d’affaires ».
Il assurait que son intervention avait été déterminante.
Par courrier du 30 novembre 2017, le frère héritier écrivait au notaire pour l’interroger sur les démarches qu’il avait effectuées avant de faire appel au généalogiste, évoquant une tentative d’abus de faiblesse.
Par courrier du 15 décembre 2017, le notaire lui répondait qu’il n’entendait pas prendre parti sur la créance du généalogiste.
Puis par jugement du 15 mai 2018, le frère héritier a été placé sous tutelle.
Le 10 août 2018, la tutrice écrit au notaire : « après relecture de toutes nos notes concernant ce dossier, à notre première visite, la défunte nous avait informé de l’existence d’un frère, M … Cependant nous n’avons jamais eu ses coordonnées ni contact pendant la mesure de protection de Mme … Lors de la transmission du dossier de Mme… à Me AUDEUX, nous avons oublié de l’informer de l’existence d’un frère ».
Par courrier du 23 octobre 2018, le généalogiste écrivait au tuteur du frère héritier pour renouveler sa proposition d’accord sur ses honoraires.
Par courriel du 2 mars 2019, la tutrice du frère héritier invite le généalogiste à établir sa facture tout en persistant à refuser d’admettre qu’il y ait eu une quelconque révélation. Elle souhaitait en référer au juge des tutelles.
Par acte du 5 juillet 2019, le généalogiste a attrait devant le Tribunal le frère héritier de la défunte aux fins de condamnation à lui payer sa facture de généalogiste de 9600 € TTC, quant aux diligences de révélation.
Par jugement du 25 septembre 2019, le Tribunal judiciaire de LA ROCHE SUR YON a jugé que le généalogiste n’était pas fondé à se prévaloir de la notion de gestion d’affaires au motif qu’un tel mandat aurait été inutile.
En effet, la défunte était placée sous curatelle avant son décès. Le notaire, lorsqu’il a mandaté le généalogiste, a fait l’économie d’interroger l’établissement d’hébergement de la défunte, ni la curatrice, alors que l’existence d’un frère était connue d’elle, et qu’il entretenait des contacts réguliers avec sa sœur comme le prouvent les attestations des membres de la famille versées aux débats.
Le Tribunal judiciaire a considéré que l’héritier a apporté la preuve suffisante qu’il avait connaissance de sa qualité d’héritier de sa sœur. Par conséquent, inutile de désigner un généalogiste pour lui révéler une succession qu’il ne peut ignorer.
Le contrat de révélation est nul sans cause.
Le généalogiste a intenté un appel.
Il a soutenu que la chronologie des évènements parle d’elle-même puisque le frère ne s’est annoncé au notaire qu’après avoir reçu le contrat de révélation du généalogiste.
La Cour d’appel a confirmé le jugement.
Elle a considéré que le généalogiste a fait preuve d’une insistance déplacée alors que le frère savait que sa sœur était décédée. L’étude a poursuivi des prestations alors même que le frère héritier lui avait notifié une lettre de refus de révélation le 16 août 2017.
Puis le frère héritier a été placé sous tutelle par suite d’un certificat médical du 10 février 2018.
Il était donc une personne vulnérable.
Le mail envoyé par la tutrice qui demande la facture, est l’effet de la lassitude.
Si le frère héritier n’a pas contacté le notaire plus avant, c’est en raison du fait qu’il était persuadé que le notaire prendrait l’initiative de le contacter et prendrait le temps de le faire ainsi qu’il en était pour le décès de son autre sœur prédécédée.
Le frère héritier de la défunte était en relation avec sa sœur. Il l’avait vue pour la dernière fois le 8 octobre 2016.
La saisine du généalogiste n’était utile que s’il n’existait aucun moyen d’identifier le frère de la défunte, seul héritier.
La Cour précise que le notaire aurait pu interroger son confrère, qui avait œuvré dans le cadre de la succession de l’autre sœur, et aurait ainsi pu mettre le doigt sur l’héritier concerné, sans recours audit généalogiste.
Le service rendu par le généalogiste est donc inexistant et aucune plus-value n’a été apportée.
De plus, le généalogiste ne peut se prévaloir de la gestion d’affaires vis-à-vis du frère héritier dans la mesure où ce dernier a refusé de signer le contrat de révélation dès réception de celui-ci et que la tutrice n’a rien ratifié par la suite.
La gestion d’affaires ne peut pas être invoquée lorsque l’héritier l’a refusée immédiatement.
L’héritier a produit une attestation de témoin de sa fille qui déclarait qu’elle a été prévenue du décès de sa tante par son père dès avril 2017.
Il produit des photographies des visites qu’il faisait à sa sœur.
La maison de retraite a également attesté en déclarant qu’elle avait informé le frère de la défunte, dès le décès.
La Cour en déduit que frère et sœur étaient en lien et notamment six mois avant le décès.
La Cour relève encore que la lettre de révélation du généalogiste ne donne aucun renseignement sur la défunte ni sur la qualité de l’héritier. Or, d’office, lorsque le frère héritier lui répond pour contester la révélation du généalogiste, il se qualifie de frère héritier de la défunte. C’est dire qu’il avait connaissance de la succession et de ses droits d’héritier.
Le jugement a donc été confirmé en ce qu’il a débouté le généalogiste de toutes ses demandes.
Au vu de ce qui précède,
On peut dire que le contrat de révélation qui n’est réglementé que par des dispositions générales du Code de la consommation concernant notamment les contrats à distance, et dont certaines de ses clauses sont susceptibles d’être requalifiées en clauses abusives réputées non écrites, ne peut pas être « forcé » ni faire l’objet de lettres dont la réitération peut constituer une forme de « harcèlement ».
La révélation doit être une mission réfléchie.
Or, la problématique tient au fait que le notaire ne se donne pas toujours les moyens de rechercher correctement dans les actes d’état civil notamment, parmi les membres de la famille qu’il peut connaître ou identifier, auprès de ses confrères, les informations permettant de retrouver par lui-même le ou les héritiers d’une défunte sans descendance directe.
La responsabilité du notaire n’est pas systématiquement recherchée mais il ne serait pas totalement dérisoire d’employer les moyens judiciaires de mettre en cause le notaire afin de susciter ses explications sur les circonstances de la saisine par ses soins du généalogiste et afin de l’interroger concrètement sur les diligences ou démarches qu’il aurait accomplies ou pas pour se passer de tout généalogiste aux frais conséquents de l’héritier.
Il est très important de protéger les intérêts des héritiers qui se retrouvent dans une insécurité juridique lorsqu’ils reçoivent une telle lettre leur demandant d’emblée de signer un contrat de révélation, parfois en omettant de stipuler que les honoraires demandés sous forme de pourcentage ou commission sont toujours négociables.
Les groupes défenseurs des intérêts des généalogistes sont puissants.
Il est important que les Juges continuent à se saisir de cette question dans le cadre d’un pouvoir modérateur.
Publié le 25 mai 2022