Prenons l’exemple de retraités qui envisagent de changer de régime matrimonial
Ils sont mariés ensemble sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts.
Et ils envisagent d’adopter le régime de la communauté universelle afin qu’en cas de prédécès de l’un d’eux, le conjoint survivant puisse jouir d’une autonomie suffisante et complète sur l’ensemble de leurs biens.
Ils envisagent surtout que la conjointe survivante puisse maîtriser la gestion du logement familial et disposer pleinement des avoirs bancaires aussi bien en termes de portefeuille que de liquidités et qu’elle puisse également gérer l’immeuble de rapport qui constitue la principale source de revenus du couple.
Imaginons encore que ces retraités ont en commun deux enfants majeurs, économiquement indépendants et que le père retraité ait eu un premier enfant aujourd’hui majeur issu d’une précédente union avec lequel il n’a que très peu de rapport et qui n’approuve pas sa belle-mère.
Le couple de retraités craint juste devoir s’exposer au refus du premier enfant issu la première union du retraité, désireux de changer de régime matrimonial pour préserver sa nouvelle épouse qui n’est pas la mère de son premier fils.
Dans cet exemple, la retraitée est propriétaire en propre d’une maison et et de tableaux de maître, Monsieur est propriétaire en propre d’un appartement en région parisienne et d’un studio à Paris. Le couple dispose comme acquêts de communauté d’une maison dans le Sud pour leur retraite ainsi qu’un immeuble de rapport en banlieue parisienne, outre des avoirs bancaires et un portefeuille d’instruments financiers.
La question qui se pose est de savoir comment le couple de retraités va pouvoir contourner l’obstacle du blocage représenté par le refus où le risque de refus du changement de régime matrimonial exprimé par le premier fils du retraité.
Si les époux adoptent le régime de la communauté universelle et qu’ils prévoient d’insérer une clause d’attribution intégrale au conjoint survivant, l’enfant non commun du couple ne recueillera rien dans la succession de son père si ce dernier venait à décéder avant le conjoint survivant. Il pourrait alors exercer une action en retranchement et demander une indemnité sur le fondement de l’article 1527 du code civil.
Sachant qu’il ne recevra rien, l’enfant non commun du couple s’opposera nécessairement au projet de changement de régime matrimonial de son père ainsi que l’y autorise l’article 1397 du code civil. Il faudra alors passer par la case judiciaire agir aux fins d’homologation devant le tribunal du domicile des époux (article 1397 alinéa 1 du code civil). Le risque sera toujours de voir le tribunal ne pas homologuer le changement de régime matrimonial en considérant qu’il ne préserve pas assez les intérêts de l’enfant non commun.
Une solution qui pourrait être envisageable mais qui dépend des faits de l’espèce, consisterait dans la possibilité d’adopter simplement l’enfant non commun du couple par le conjoint survivant ainsi celui-ci sera démuni de l’action retranchement.
Une autre solution consisterait élaborer un pacte de famille dans lequel il sera précisé qu’une donation-partage sera effectuée au profit des enfants du couple et de l’enfant du père retraité, qui organiserait un partage anticipé et qui serait respectueux de leur part de réserve au jour de l’ouverture de la succession. Ce pacte de famille pourra être scellé par une renonciation anticipée à l’action réduction ou à l’action retranchement. Cette renonciation engagera l’enfant non commun du couple dans l’hypothèse où il n’aura pas été adopté car pour éviter une opposition des enfants non communs au changement de régime matrimonial, il est possible d’imaginer que l’enfant non commun puisse bénéficier d’une donation qui portera sur la valeur que représenterait sa part de réserve au jour de la succession et que dans le même temps, il renonce par anticipation à réclamer une indemnité de retranchement en cas de prédécès de son père. Cette solution est envisageable lorsqu’il y a peu de chances que le patrimoine évolue ou qu’il y ait un autre enfant à naître qui pourrait remettre en cause le pacte de famille.
Cette renonciation par anticipation à l’action en retranchement ou en réduction qui serait el fait de l’enfant non commun n’est cependant pas définitive. C’est-à-dire que l’enfant non commun s’engage seulement à ne pas exercer l’action en retranchement du vivant du conjoint survivant ; il retarde son action au jour du décès du conjoint survivant ; l’action retranchement sera donc exercée non pas contre la bénéficiaire des avantages matrimoniaux mais contre les héritiers de ce dernier à savoir les enfants communs.
La donation-partage pourrait être la forme de libéralité la plus appropriée car elle préserve l’enfant donataire de l’obligation au rapport à l’égard de ses cohéritiers.
Par ailleurs, s’agissant d’une donation-partage, les variations de valeur entre le jour de la donation et le jour du décès ne seront pas prises en compte mais cette donation-partage devra profiter en même temps à tous les enfants communs et non communs du couple ; il n’est cependant pas recommandé aux donateurs de faire une donation conjonctive, cette donation-partage devra provenir du retraité, père de l’enfant non commun.
Ainsi au décès du retraité, l’enfant non commun ne pourra pas exercer l’action en retranchement car il aura été alloti de sa part de réserve au moyen de la donation-partage.
La donation-partage peut toutefois présenter un inconvénient si elle est consentie très longtemps avant le décès et que la valeur des biens donnée risque d’augmenter car il peut apparaître avec le temps que les lots reçus sous forme de donation-partage ne permettent pas de d’attribuer la part de réserve au bénéficiaire de la dette donation-partage.
Pour éviter un tel résultat et maintenir l’égalité entre les réservataires, il est possible de procéder à une réévaluation des lots antérieurement donnée par le donateur et le donateur peut donner de nouveaux biens même si cela consiste à multiplier les actes notariés et par conséquent les droits de partage à payer.
Il est également possible d’envisager la souscription d’une assurance-vie en faveur de l’héritier du premier lit, à titre de donation indirecte. Ainsi le capital n’entrera pas dans la succession du donateur et il est directement et définitivement acquis au bénéfice de l’enfant non commun. Ce capital ne sera exposé ni au rapport ni à la réduction, sauf le rapport des primes manifestement excessives.
Puisque la renonciation anticipée à l’action en retranchement présente ‘inconvénient de retarder l’action mais non de l’anéantir, le mieux serait finalement de proposer au couple de retraité non pas de changer purement et simplement son régime matrimonial en communauté i=universel avec clause d’attribution intégrale en pleine propriété mais d’aménager son régime matrimonial de la communauté réduite aux acquêts tel qu’existant.
Dans ce régime aménagé, les retraités prévoiraient que chacun des époux conservent ses biens propres tandis qu’il serait inséré une clause d’attribution intégrale qui porterait uniquement sur les acquêts de communauté.
Ainsi, en cas de prédécès du retraité, la conjointe survivante recueillerait la totalité des biens communs, tandis que les biens propres du défunt pourraient permettre de fournir la part de réserve aux enfants issus du défunt.
Il serait également possible de proposer aux époux d’insérer dans leur régime matrimonial une clause de préciput portant sur certains biens communs à savoir le logement de famille et l’immeuble de rapport.
Enfin l’article 1524 alinéa 2 du code civil permet de stipuler une clause d’attribution intégrale de communauté portant sur l’usufruit seulement. Ainsi, en cas de communauté universelle, le conjoint survivant recevra sa moitié de communauté universelle en pleine propriété et l’usufruit de l’autre moitié de la communauté universelle. La nue-propriété de cette autre moitié sera dévolue aux enfants communs et non communs du défunt et permettra de former leur part de réserve, ce qui écartera éventuellement une action en retranchement. Cette solution est d’autant plus envisageable que les apports de chacun des époux retraités dans la communauté sont proportionnés.