Des travaux ont été entrepris par le gouvernement et ont débouché sur 5 rapports dont les thèmes sont les suivants :
- transformation numérique
- amélioration et simplification de la procédure pénale
- amélioration et simplification de la procédure civile
- adaptation du réseau des juridictions
- sens, efficacité des peines
Les objectifs du gouvernement, nous dit-il, sont de simplifier les procédures et de rendre la justice plus accessible et plus compréhensible aux justiciables.
En réalité, les avocats sont en colère. Les magistrats aussi. Le personnel du service public de la justice également.
En effet, les mesures préconisées sont en réalité à mille lieux des objectifs annoncés.
Concernant la transformation numérique
Le projet de loi veut développer les applications numériques dans le domaine de la justice. Il y aura des dossiers partagés entre les juridictions et les services du parquet. Les services d’accueil unique des justiciables qui sont intégrés dans les palais de justice pourront renseigner les justiciables en consultant les données numérisées. On note que l’objectif est de faciliter l’accès aux divers guichets des services judiciaires. En réalité, les mesures proposées ne permettront pas de fluidifier l’accueil du public car le personnel n’a pas le temps de tout gérer, qu’il n’y a pas de recrutements supplémentaires, qu’il n’a pas toujours le temps d’être formé à toutes ces nouvelles techniques de traitement informatisées.
Le projet de loi veut mettre en place une phase de pré contentieux obligatoire.
Le gouvernement veut développer la médiation et la conciliation numériques, c’est-à-dire qu’avant d’aller au procès, les parties sont invitées à recourir à des acteurs privés tels que les Légal Tech, des grandes entreprises (médiateurs internes), des conciliateurs de justice, des associations de médiateurs… Ces différentes plates-formes seraient chargées de rapprocher les parties en vue d’une médiation, de les amener à une conciliation afin d’éviter le recours au juge. Ces intervenants parfois privés pourront remplacer l’office de l’avocat. Il faut pourtant se rendre à l’évidence que le rôle de l’avocat est primordial à tous les stades du procès, même pour tenter de l’éviter entre les parties. En effet, les organismes privés auront peut-être une labellisation mais celle-ci ne remplacera jamais l’expérience des avocats qui auront usé pendant des années d’exercice professionnel leur robe devant les prétoires. Par ailleurs, les conciliateurs de justice, les médiateurs, ont des difficultés à comprendre certains principes comme le contradictoire, les droits de la défense, les garanties nécessaires. Et pour ma part j’ai déjà eu l’occasion de me rendre à l’évidence qu’une cliente qui avait été convoquée à une médiation dans le cadre d’un différend familial, à laquelle je n’avais pas participé avait été « forcés » (sic) à signer un protocole d’accord qu’elle n’avait en réalité jamais voulu. Elle est alors venue me contacter en pleurs à mon cabinet. De telles situations pourraient se reproduire très souvent et le justiciable en perdrait ses plumes.
On voit que l’accord des parties qui pourrait éventuellement être trouvé pourrait en outre faire l’objet d’une homologation « numérique » par le juge en donnant lieu à une décision numérique ayant force exécutoire. Cette situation d’instantanéité dispensera les justiciables d’aller pouvoir faire homologuer leur accord auprès d’un juge avec lequel il pourrait discuter et voir consacrer un peu d’humanité dans leur dossier.
Le projet de loi imagine de développer des algorithmes qui permettraient aux justiciables d’avoir des informations numérisées à la portée de tous sur la jurisprudence des juridictions et notamment de la Cour de cassation. Or, traditionnellement l’avocat fait ce travail dans le cadre du conseil qu’il dispense au profit de ses clients. Soit les justiciables seront à même de comprendre les données qui leur seront distillées au travers de ses algorithmes, de les interpréter convenablement et de les appliquer à leur cas d’espèce, soit ils auront toujours besoin du regard éclairé d’un avocat professionnel qui pourra apporter toutes les nuances nécessaires. Au mieux, ses algorithmes et ses outils de connaissance généralisée de la jurisprudence des juridictions pourra aider les avocats à travailler mais certainement pas les justiciables à se passer de la justice en général.
Le projet de loi entend généraliser le recours au numérique via la création d’un dossier numérique unique, que le justiciable pourrait consulter parfois seul. Dans ce DNU, les avocats et les parties échangeront leurs pièces et leurs écritures. Il ne s’agira plus de scanner des documents en version papier. Ce système est innovant et d’ailleurs déjà pratiqué puisque les avocats sont connectés au RPVA ; ils échangent leurs écritures et pièces par ce biais mais la problématique tient au fait que derrière le développement du numérique, le gouvernement entend limiter le travail du juge au strict minimum (précision, finalisation du dossier), ce qui a pour effet pervers de rallonger la distance entre le justiciable et son juge, et de supprimer le plus possible le recours à l’avocat pourtant infiniment utile.
Bien entendu, l’accès du justiciable à son dossier par un système informatisé et numérisé peut paraître au premier abord une bonne solution car l’amélioration de l’information va sans dire. Toutefois, dans certains dossiers parfois sensibles, il est regrettable que le justiciable ne puisse pas avoir en même temps que l’accès à son dossier les conseils et l’accompagnement juridique appropriés émanant d’un avocat qui va lui expliquer son dossier sans gravité et avec les mots appropriés, parfois délicats, ce qui évite de transmettre des informations pouvant s’avérer éprouvantes pour le justiciable. Bref, l’avocat apporte un accompagnement à son client, aussi bien juridique que psychologique, et ceci est nécessaire si l’on veut préserver une justice humaine.
Concernant l’amélioration de la simplification de la procédure pénale
Il est fait état d’une habilitation qui pourrait être donnée au médecin légiste de mettre directement les prélèvements sous scellés (avec formation). Mais les magistrats craignent cependant que cette facilité conduise les officiers de police judiciaire à se dispenser d’assister aux autopsies, ce qui constituerait un handicap certain pour la qualité de l’enquête.
Il est prévu par ailleurs que la durée de la garde à vue puisse en matière criminelle et pour certains délits punis de plus de 10 ans d’emprisonnement être portée à 48 heures (première tranche, sans prolongation) par le procureur de la république. Les barreaux sont hostiles à cette mesure parce qu’elle consacre une régression des garanties personnelles et des droits de la défense. Il y a eu lieu de craindre un abus de qualification par les OPJ. Le recours à de telle durée de garde à vue pourrait devenir automatique. Il suffit de jouer sur les qualifications. Le moment de la première prolongation est un moment important au cours duquel le parquet contrôle. Cette occasion viendrait à manquer. Certains avocats émettent l’idée d’une procédure d’habeas corpus qui permettrait de saisir à tout moment le JLD au cours de cette première tranche de garde à vue de 48 heures.
Le Projet de loi pourrait proposer de conserver le système de la prolongation à la 24e heure de garde à vue mais remplacerait la présentation obligatoire du mis en cause au parquet (même en visioconférence), par une présentation sur demande.
Le projet de loi envisage une extension des pouvoirs des agents de police judiciaire pour pratiquer des actes non coercitifs, et des prélèvements.
Il est également envisagé une amélioration et une généralisation des procédures alternatives en matière pénale. Alors que certaines matières comme les transports, l’environnement, le sport, l’urbanisme, la santé publique, sont propices à la possibilité de transaction pénale, les autres domaines du droit s’y prêtent mal dans la mesure où l’on pourrait craindre une déjudiciarisation de la délinquance en col blanc.
Il est envisagé également la création de d’amende forfaitaire qui s’appliquerait à des délits de masse et sans victime : vente à la sauvette, usage de stupéfiants, occupation des halls d’immeubles, port d’armes de catégorie D, certaines infractions au code de la route, infractions aux débits de boissons, ivresse publique…
La problématique de cette méthode est que les peines doivent normalement être individualisées dans notre système français. Or ici il y a recours à une forfaitisation de la peine. Par ailleurs le recours à l’amende forfaitaire en matière délictuelle rendrait très difficile le suivi judiciaire d’un délinquant qui réitérerait ses actes., tandis que les contraventions ne sont pas mentionnées dans le casier judiciaire. Par ailleurs, le système de la fixation d’une amende peut engendrer des difficultés de recouvrement.
Le recours à la forfaitisation engendre donc une déjudiciarisation déguisée, fait régressait les droits de la défense, fait obstacle à la possibilité de se défendre par l’entremise d’un avocat, devient incompatible avec le principe de l’individualisation de la peine.
Le projet de loi entend généraliser à davantage de délits le recours à la procédure d’ordonnance pénale. L’on sait que cette procédure est assez systématique dans les infractions au code de la route et qu’elle limite le rôle de l’avocat de sorte que les droits de la défense sont en net recul. Généraliser l’ordonnance pénale à d’autres infractions que celles existantes est de nature à consacrer un recul général des droits de la défense.
Le projet de loi prévoit également la généralisation de la procédure de CRPC aux contraventions de 5e classe et aux infractions liées à la fraude fiscale. La procédure de CRPC consiste à être accueilli par le procureur dans son bureau qui propose une peine compte tenu des faits qui sont reprochés. Si le prévenu accepte cette proposition de peine, alors elle doit être homologuée à l’occasion d’une audience qui se déroule devant le juge correctionnel lequel va devoir entendre les brèves observations de l’avocat.
L’on n’ignore pas que le recours de plus en plus systématique à la procédure de CRPC fait reculer les droits de la défense dans la mesure où il s’agit d’un mécanisme de sanction judiciaire qui laisse peu de place aux velléités de l’avocat. Il faut savoir qu’en l’état actuel du droit, et de la pratique, la CRPC laisse peu de place à la négociation avec le parquet sur la peine. C’est souvent « à prendre ou à laisser ». Le rôle de l’avocat est de conseiller son client et de lui indiquer si à son sens, il est préférable d’accepter ou non la proposition du parquet en sachant que si le prévenu n’accepte pas cette proposition de peine, il sera renvoyé devant le tribunal correctionnel afin d’être jugé ; cette possibilité a juste le mérite de permettre à l’avocat de présenter de véritables plaidoiries et de produire toutes pièces utiles à la défense de son client.
Le projet de loi prévoit la création d’une procédure intermédiaire entre la fin de la garde à vue et la saisine du juge d’instruction. En effet, il est constaté en pratique, que certaines enquêtes pénales ne sont pas tout à fait terminées à l’issue de la garde à vue. Il manque certains actes d’enquête au dossier. Dans ces cas, le parquet décide de déférer le prévenu au juge d’instruction. Une information judiciaire est alors ouverte pour la simple raison qu’une investigation complémentaire n’est pas terminée. Or l’ouverture d’une information judiciaire est chronophage, occupe le cabinet du juge d’instruction et ne confère pas une réelle plus-value au service public de la justice. Il est donc proposé qu’une procédure intermédiaire puisse être créée, sous l’égide du parquet, permettant que le complément de procédure, assorti d’une mesure de sûreté, soit mise en œuvre, en attendant la comparution différée devant le tribunal correctionnel. Les avocats ne sont pas favorables à ce type de modification dans la procédure pénale. Ils estiment que cette phase intermédiaire violerait la présomption d’innocence et les droits de la défense. Il faut se rappeler que l’avocat a droit à avoir accès au dossier pénal que lorsque son client est mis en examen. Pendant cette phase intermédiaire, son client n’aura pas de statut de mis en examen et par conséquent, son avocat ne pourra pas voir accès au dossier pour l’aider à se défendre. Cette phase intermédiaire conduirait sans doute à une augmentation du recours à la détention provisoire.
Le projet de loi prévoit un délai maximal de signification de la liste des témoins dans le procès pénal. Le parquet aurait un mois avant l’audience pour faire signifier la liste des témoins qu’il souhaite voir entendre. La défense aurait 10 jours pour se faire ainsi que la partie civile. Les avocats voient dans cette mesure une nouvelle inégalité consacrée entre le parquet et la défense.
Le projet de loi envisage la possibilité pour les jurés et les assesseurs d’avoir accès au dossier pénal. Cet accès au dossier pourra se faire par voie de numérisation. Devant la cour d’assises, devant le tribunal correctionnel, l’accès au dossier ne devra jamais pouvoir atténuer le principe de l’oralité des débats.
Le projet de loi prévoit que la question sur les intérêts civils soit jugée par une chambre civile à laquelle l’affaire serait renvoyée. Ce ne serait plus le tribunal correctionnel ou la cour d’assises qui statuerait sur les intérêts civils après s’être prononcé sur la culpabilité et la peine pénale. Cela permettrait de décharger les juridictions pénales. Cette solution occasionnerait une césure assez importante entre le pénal et le civil de sorte que les parties civiles pourraient penser que l’évaluation de leur préjudice moral, affectif ou psychologique serait plus difficile si l’on envisage de renvoyer l’affaire à une autre chambre et si la date d’audiencement intervient ultérieurement.
Le projet de loi prévoit le système de le pré-plainte en ligne. Elle doit avoir un caractère non obligatoire. Elle ne recevra pas un traitement prioritaire par rapport au dépôt de la plainte classique. Elle supposa le déroulé de certains champs à remplir. Elle devrait permettre une identification certaine du déclarant. Elle aurait une date certaine. Les enquêteurs pourraient examiner rapidement ces plaintes déposées en ligne. Il y aura un logiciel permettant de faire un tri. Ce système du dépôt de la pré-plainte en ligne pourrait concerner le contentieux de masse. S’agissant d’atteintes aux personnes, de violences faites aux femmes et aux mineurs, et les infractions sexuelles, des réserves importantes sont émises quant à l’efficacité de ces pré-plainte.
Le projet de loi prévoit également l’interconnexion entre le logiciel TAJ et Cassiopée. Cela permettra d’obtenir une traçabilité de toutes les enquêtes en cours. Par ailleurs le projet de loi prévoit l’uniformisation des logiciels de rédaction de la procédure entre la police nationale et la gendarmerie nationale. Les policiers réclament également la mise en place pour les auditions, d’un logiciel de dictée vocale. Cette technologie permettrait d’améliorer la disponibilité mentale de l’enquêteur et de faciliter la création d’un lien plus naturel avec la personne entendue. Le barreau ou la personne entendue pourrait au fil de la dictée, suivre la transcription sur écran pour en vérifier la fidélité et ainsi accélérer la validation et la signature.
Le projet de loi envisage l’extension du recours à la visioconférence. Cela permet aux policiers, au parquet et au magistrat du siège de s’entretenir avec le prévenu sans qu’il y ait un déplacement physique. Les avocats sont globalement hostiles à l’extension de la visioconférence, y voyant une déshumanisation de la relation entre le justiciable et le juge. Le garde-fou pourrait consister à faire en sorte que toute visioconférence reçoive l’assentiment préalable du prévenu. Une bonne idée pourrait consister à développer un parloir numérique entre les détenus et leur avocat.
Concernant la simplification de la procédure civile
L’esprit du législateur est de recentrer le juge sur son office qui est celle de juger, ne pas laisser l’organisation judiciaire dans un labyrinthe incompréhensible pour le justiciable, réduire la distance entre le justiciable et son juge qui rend la justice anxiogène là où elle devrait contribuer à apaiser les conflits. L’idée est également de maîtriser davantage l’aléa judiciaire et d’éviter d’avoir à obtenir des décisions parfois hétérogènes et imprévisibles.
Le législateur souhaite simplifier la procédure civile.
Pour ce pour ce faire, la justice civile doit se convertir au numérique. On doit transposer les règles de la transmission papier à la transmission électronique. Il doit y avoir une plate-forme permettant un accès permanent et dématérialisé au service de la justice. Il doit y avoir des interconnexions encadrées, des outils de dialogue entre les services. Cette révolution numérique doit pouvoir garantir la protection des données personnelles. Les juridictions pourront être saisies de manière dématérialisée dans les procédures où l’avocat est obligatoire. Les services d’accueil unique du justiciable (sauj) pourront accompagner le justiciable sans d’avocat.
Le projet de loi envisage par ailleurs la numérisation des petites procédures comme les injonctions de payer. Depuis 2011, les huissiers de justice ont, seuls, la possibilité de saisir le tribunal d’instance par voie dématérialisée (IP Web). Cette hypothèse de saisine dématérialisée des requêtes en injonction de payer pourra être étendue aux avocats et aux particuliers.
Le justiciable pourrait remplir un formulaire en ligne, et pourrait remplir toutes les cases utiles, pourrait se passer du service d’un avocat. Le défendeur pourra faire opposition et le juge statuera sans audience.
On voit dans cette mesure une régression des droits de la défense par la suppression de plus en plus systématique du recours à l’avocat obligatoire et par la suppression des audiences juridictionnelles.
Le justiciable ne verra plus son juge.
Le projet de loi prévoit la création d’un tribunal judiciaire qui serait la fusion du tribunal d’instance et du tribunal judiciaire. Ce tribunal judiciaire serait implanté différemment. Le tribunal judiciaire pourrait regrouper, dans des chambres spécialisées, le contentieux dévolu au conseil de prud’hommes voire aux tribunaux de commerce.
Le projet de loi envisage de simplifier le mode de saisine de la juridiction au moyen d’un acte de saisine judiciaire unifié. Actuellement il y a au moins 5 modes de saisine des juridictions civiles. Le projet de loi propose de ne conserver que l’assignation et la requête. Cet acte de saisine se ferait par la voie électronique. La saisine de la juridiction débouchera sur un rendez-vous d’orientation judiciaire qui sera fixé selon un calendrier mis à la disposition par la juridiction. Il n’y aura plus à distinguer entre assignation en référé et assignation en la forme des référés. Cet acte de saisine comporterait le consentement à procéder aux échanges par la voie électronique, les informations relatives à l’identité des parties et de leurs mandataires, la désignation de la juridiction saisie, l’exposé des faits du litige, l’indication des demandes formulées, l’ensemble des moyens de fait le droit de nature à les fonder, l’indication des mesures d’instruction qui pourraient être nécessaires, et les modalités de communication des pièces au contradicteur. L’acte de saisine numérisée sera interruptif de prescription. Les parties devront soumettre au juge un litige clairement circonscrit dès le premier jeu d’écritures. Les demandes additionnelles pourront intervenir ultérieurement. Elles ne seront pas interdites. La finalité du législateur est d’interdire aux parties de pouvoir invoquer un moyen nouveau en cause d’appel. Les litiges seront fixés. Actuellement, il est possible d’invoquer des moyens nouveaux en cause d’appel à condition de ne pas les accompagner de demandes nouvelles. Cette possibilité sera supprimée. Cette modalité est fortement contestable car elle opère un recul des droits de la défense considérable.
Le projet de loi vise à redéfinir le rôle du juge de la mise en état, il envisage également de supprimer l’audience de conciliation dans les procédures de divorce contentieuses.
Les efforts que le projet de loi envisage de consacrer en vue d’une amélioration du service de la justice ne saurait évidemment s’envisager sans un coût supplémentaire. D’où une réflexion autour du financement de la modernisation de la justice. Sur la base du système allemand, une piste de réflexion se dessine autour de l’idée d’une contribution des parties aux frais de justice en proportion inverse du succès de leurs prétentions.
Le projet de loi entend favoriser la collégialité dans les contentieux civils importants. Les magistrats expérimentés pourront transmettre leurs connaissances et leur expérience aux magistrats moins expérimentés qu’ils seconderont en quelque sorte. Le projet de loi entend veiller à ce que les magistrats aient une bonne connaissance de la jurisprudence de la Cour de cassation. Il entend mettre à disposition des magistrats des moyens et outils leur permettant de s’appuyer sur des trames normalisées, proposant des modèles de motivation à personnaliser selon ce qu’exige le litige.
Concernant l’adaptation du réseau des juridictions
Le projet de loi souhaite replacer le service public de la justice au niveau départemental.
Il souhaite créer un tribunal de proximité dont la compétence porterait sur le contentieux de la vie quotidienne, à savoir le contentieux des affaires familiales, celui des tutelles « mineurs », à l’exception du divorce et des liquidations de communauté. En matière pénale, cette juridiction de proximité s’occuperait des procédures de CRPC, des ordonnances pénales, composition pénale, du jugement de certains délits relevant actuellement du juge unique correctionnel.
Le tribunal judiciaire connaîtrait des contentieux autres que ceux attribués au tribunal de proximité notamment les contentieux techniques complexes et en matière civile où la représentation par avocat est obligatoire. Cette mesure est celle qui a déclenché la plus grande défaveur des avocats et des magistrats. Cette mesure pourrait avoir pour conséquence la suppression à terme d’un certain nombre de palais de justice entiers avec toutes les conséquences économiques que cela peut engendrer dans certaines villes.
A Grasse, par exemple, le palais de justice est très performant. Il est classé 19e sur les 160 tribunaux judiciaires que compte la France sur son territoire. Son existence pourrait apparaître comme menacée. Les avocats se sont mis en colère. Ils ont été rejoints par les magistrats et le personnel du service public de la justice. Lors de la présentation du projet de loi au conseil d’État le 21 mars 2018, il y a eu une journée de « justice morte » au sein des barreaux. Les audiences ont été renvoyées. Il semble que le garde des sceaux ait reculé sur cette dernière modalité. Toutefois il reste des zones d’ombre car la question n’est pas définitivement rangée dans les placards.
Dans le département des Alpes-Maritimes, il y a principalement deux barreaux, l’un à Nice, l’autre à Grasse. Ces deux barreaux sont équivalents par leur performance, par leur travail. Le Barreau de Grasse est même supérieur à celui de Nice en termes de nombre de populations. Le Barreau de Grasse recouvre un maillage territorial très étendu sur la Côte d’Azur. Le Barreau de Nice et la juridiction de Nice correspondent à une spécificité liée à son emplacement transfrontalier. Aussi bien le Barreau de Nice que le Barreau de Grasse, aussi bien le palais de justice de Nice que le palais de justice de Grasse, ces structures et émanations du service publique de la justice ont toutes deux, droit de cité.
Le démantèlement des juridictions reviendrait à remettre en cause la proximité de la justice. L’habitant de Grasse, de Mougins, de Mouans-Sartoux, de Cannes, du Cannet, d’Antibes, de Juan-les-Pins, de Golfe-Juan, de Vallauris, de Cagnes-sur-Mer, de Saint-Laurent-du-Var, de Biot, de Puget sur Argens, de la Roquette sur Siagne, de cabris … devra-t-il se déplacer jusqu’à Nice pour faire valoir ses droits en justice ? Son avocat devra-t-il se déplacer à Grasse le matin, à Nice l’après-midi pour deux dossiers qui auraient pu être examinés par des juges regroupés au sein d’un même palais de justice, en l’occurrence celui de Grasse, celui le plus proche des justiciables relevant du ressort territorial du barreau de Grasse.
L’objectif fixé par le législateur consistant à rendre la justice plus proche des justiciables et faussement dévoyé.
Que deviendrait un chef-lieu sans sa juridiction, sans son palais de justice ? Quel serait le sort des commerçants autour ?
Concernant le sens et l’efficacité des peines
Le projet de loi viserait à rendre les peines prononcées efficaces et effectives. On constate que la peine de référence en matière délictuelle est l’emprisonnement alors que beaucoup d’autres peines pourraient être toutes aussi bien utilement prononcées.
Pour donner place aux autres peines, alternative à l’emprisonnement, la juridiction de jugement doit disposer des éléments d’information suffisants quant à la personnalité du prévenu qui comparait devant elle. Le recueil de ces informations de personnalité s’avère encore plus indispensable dans le cas des procédures de comparution immédiate.
Le projet de loi vise à informer les magistrats sur la personnalité et le parcours du prévenu grâce au travail que pourraient opérer pendant la garde à vue, les SPIP.
Il vite à inciter au recours plus important à la peine de travail d’intérêt général. On parle de création d’une agence du TIG qui serait réactive et susciterait la création de postes de travail.
Le projet de loi envisage de faire du placement sous surveillance électronique, le PSE, une peine autonome pouvant être assortie d’obligations d’interdiction tout en conservant également la possibilité de la mettre en œuvre comme une mesure d’aménagement de peine. Cette mesure autonome serait rebaptisée « détention à domicile sous surveillance électronique ». Sa durée ne saurait dépasser 2 années. Cette mesure serait accompagnée par des agents de SPIP éventuellement mobiles qui se rendraient au domicile de la personne afin de s’assurer des conditions dans lesquelles se déroule cette mesure. Tout manquement pourrait aller jusqu’à une incarcération pour la durée de la peine restant à subir.
Le projet de loi souhaite promouvoir le recours aux peines d’amende, aux peines de jours-amende, aux peines de stage. Ce stage pourrait prendre la forme d’une sensibilisation aux obligations parentales, aux dangers de l’usage de produits stupéfiants, aux obligations au sein d’un couple, respect des règles de la sécurité routière ou à tout autre forme de sensibilisation. Il aurait une durée de 5 jours.
Le législateur souhaite ainsi réécrire l’échelle des peines en matière correctionnelle : l’emprisonnement, le placement sous surveillance électronique, probation, tig, amende, jours-amende, les stages et les interdictions.
S’agissant de la peine d’emprisonnement, chacun s’accorde à penser que le recours aux courtes peines d’emprisonnement à un effet désocialisant pour le condamné, que ces peines d’emprisonnement le prédisposent à la récidive. Le gouvernement souhaite donc supprimer le recours aux courtes peines d’emprisonnement. C’est ainsi qu’il pense notamment conjurer l’état de la surpopulation carcérale.
Il est donc proposé d’interdire le prononcé des peines d’emprisonnement inférieures à un mois, d’autres peines principales étant parfaitement susceptibles de se substituer à ces peines d’emprisonnement de courte durée.
Il est envisagé que les peines d’emprisonnement inférieur ou égal à 6 mois soient exécutées sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou sous le régime d’un placement sous surveillance électronique accompagnée. Cette proposition suppose un renforcement très significatif des effectifs de SPIP.
Il est également mis l’accent sur la nécessaire motivation des jugements qui prononcent une peine d’emprisonnement. Le tribunal, pour cela, s’appuiera sur le dossier unique de personnalité. Il conviendra de veiller à ce que les peines d’emprisonnement soient rapidement mises à exécution. Le tribunal délivrera un mandat de dépôt à effet différé. Le condamné se verra alors notifier une date à laquelle il devra se présenter à l’établissement pénitentiaire.
Pour les peines inférieures ou égales à 5 années d’emprisonnement, il est précisé que la libération interviendra de droit aux 2/3 de la peine avec une mesure d’accompagnement pour la durée de la peine restant à subir, sauf avis contraire du juge d’application des peines. Dans ce cas, c’est le magistrat qui en fonction de l’évolution du condamné et de son parcours pénitentiaire, appréciera le moment auquel peut intervenir une mesure de libération.
En cas de méconnaissance des obligations assortissant la mesure d’accompagnement, le condamné sera incarcéré pour la durée de la peine restant à subir.
En matière criminelle, avant qu’une libération conditionnelle soit intervenue à mi peine, il pourrait également être envisagé de libérer conditionnellement le condamner aux 2/3 de la peine avec des mesures d’accompagnement et de contrôle, sauf avis contraire du juge d’application des peines.
Il est proposé de réaménager le droit des peines. Actuellement ce droit est partagé entre le code pénal et le code de procédure pénale. Les dispositions pénales en la matière devraient être de meilleure lisibilité. Il conviendrait de clarifier les attributions du JAP et celles du Tribunal d’Application des Peines.
Ce projet de loi déposé au conseil d’État pour avis le 21 mars 2018 soulève de vives manifestations au sein des professionnels du droit. Un mouvement de grève et de manifestation va être organisé le 30 mars 2018 afin de déplorer différentes mesures visant à écarter l’intervention de l’avocat, visant à atténuer les droits de la défense, à dévitaliser les palais de justice, à éloigner le juge des justiciables.
La justice ne pourra atteindre un certain niveau de qualité que lorsque les pouvoirs publics prendront conscience que le seul moyen d’y parvenir est d’optimiser le budget qui lui est consacré. Ce budget est moitié moins important que celui consacré à la justice allemande.
Il est vrai que le justiciable a le sentiment que la justice à laquelle il a parfois recours se dégrade en qualité, qu’elle ne lui donne pas toutes les garanties requises, que les procédures sont longues et qu’il n’est pas toujours assez entendu par le juge.
Les mesures consacrées par le projet de loi de 2018 ne vont réellement pas toutes dans le sens d’une amélioration de la qualité de la justice. Les cinq rapports afférents aux chantiers de la justice ne parlent pas une seule seconde des moyens de financer la justice autrement que par le recours à une contribution qui pourrait être mise à la charge des justiciables comme pour les sanctionner de faire valoir leurs droits les plus élémentaires dans une démocratie et dans un système de droit qui se veut être en accord avec la Convention européenne des droits de l’homme.
Ronit ANTEBI Avocat
MODERNISATION DE LA JUSTICE