La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 entrée en vigueur le 1er janvier 2009, a donné lieu à l’article 909 du Code civil selon lequel « les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faite en leur faveur pendant le cours de celle-ci ».
Les mandataires de justice (administrateur ad hoc, curateur, tuteur) ne peuvent pas non plus recevoir des libéralités de la personne majeure pour laquelle ils exercent leurs fonctions.
Le législateur a ainsi mis en place une incapacité de recevoir afin d’éviter des situations de captation d’héritage et de conflits d’intérêts.
La problématique était que cette disposition légale était, selon la jurisprudence, d’interprétation stricte.
Il a jugé qu’il appartenait aux juges du fond d’apprécier souverainement si la désignation du médecin traitant comme gratifié a été faite au cours de la dernière maladie dont le donateur est décédé (civ 1ère, 1er juillet 2003 : D 2003, 2404, concl. Sainte-Rose).
Les juges du fond devaient également apprécier souverainement si l’assistance apportée par le médecin au testateur, tant en raison des liens affectifs qui l’unissaient au malade que de sa compétence professionnelle, ne constituait pas un traitement médical au sens de l’article 909 du Code civil.
Une loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a instauré un empêchement de recevoir à l’égard des aides ménagères, des aidants chargés d’un service d’aide à la personne.
Une ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a modifié l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et de la famille. Cette disposition prescrit un nouveau cas d’empêchement à l’égard des employés ou salariés affectés au service d’aide à la personne lesquels ne « peuvent profiter de dispositions à titre gratuit entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur par les personnes prises en charge par l’établissement ou le service pendant la durée de cette prise en charge ».
Il est en outre, interdit, à peine de nullité, à quiconque est frappé de l’interdiction, de se rendre acquéreur d’un bien ou cessionnaire d’un droit appartenant à une personne prise en charge, accueillie ou accompagnée dans les conditions prévues ou de prendre à bail le logement occupé par cette personne avant sa prise en charge ou son accueil.
Cette incapacité pour l’aidant de capter le patrimoine de la personne vulnérable s’étend à son concubin, son pacsé, son descendant ou ascendant en ligne directe.
La jurisprudence a eu l’occasion, pour l’article 909, de dire que sont assimilables à des dispositions à titre gratuit entre vifs ou testamentaires les contrats d’assurance-vie. Paris 3 février 2000. RCA 2000, n°378, note Grynbaum.
Cette nouvelle disposition légale vise en l’occurrence à éviter la propagation d’un fléau qui sévit en raison du vieillissement de la populaire générale et notamment sur la Côte d’Azur, consistant à voir des « oiseaux de mauvaise augure » flâner autour des personnes vulnérables pouvant être victimes d’abus de faiblesse et ce, au détriment de la succession à venir.
L’application dans le temps de la loi n°2015-1776 sur l’incapacité de recevoir des aides à domicile
La loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 invalide les testaments et gratifications faites par des personnes vulnérables au profit de personnes leur ayant fourni aide à domicile (femme de ménage, aide-ménagère, aide à domicile, service à la personne, auxiliaire de vie …).
Comment cette loi s’applique-t-elle dans le temps ? S’applique-elle également aux successions anciennes ?
Un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 18 octobre 2017 répond à cette interrogation.
En l’espèce, Nelly PROUST est décédée le 8 avril 2014 à l’âge de 103 ans.
Elle a été placée sous sauvegarde de justice le 29 mai 2008, sous curatelle renforcée le 11 février 2009 et sous tutelle le 4 février 2014.
Elle laisse pour lui succéder sa fille.
Elle a établi un testament authentique le 30 mai 2008 aux termes duquel elle instituait sa fille légataire universelle et consentait des legs particuliers à diverses autres personnes, telle sa petite-fille une bague, à Y un studio à Paris.
La fille de la défunte à assigné Y en annulation du legs.
Le Tribunal a jugé que le legs de mai 2008 était valable.
La fille de la défunte fait appel en invoquant notamment l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles issu de la loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
Elle soutient que la légataire était une auxiliaire de vie travaillant au domicile d’une personne âgée à la date à laquelle elle a été instituée légataire particulier.
Elle demande à la Cour de constater que le legs particulier se heurte à l’interdiction légale de disposer et de recevoir à titre gratuit.
La légataire particulière fait valoir que la loi de 2015 créant une incapacité de recevoir en tant qu’aide à domicile n’est pas rétroactive et n’est pas applicable aux faits relatés.
La Cour d’appel juge que « considérant qu’en cas de conflit de lois dans le temps, la loi applicable est, sauf dispositions transitoires particulières inexistantes en l’espèce, celle qui était en vigueur au jour de l’ouverture de la succession, de sorte que Nelly PROUST étant décédée le 8 avril 2014, la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 et plus particulièrement l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, postérieure à cette date, ne peuvent recevoir application pour apprécier la validité du legs litigieux ».
Cette défense a donc été écartée par la Cour.
La Cour confirme le jugement critiqué.
Au vu de ce qui précède, on dira que la loi du 28 décembre 2015 entrée en vigueur le 30 décembre 2015 peut s’appliquer aux testaments ou dispositions gratifiantes antérieures à l’entrée en vigueur de la loi si au jour du décès, la loi était déjà entrée en vigueur. L’incapacité de recevoir s’applique donc aux successions ouvertes à partir du 30 décembre 2015.
Source Lamyline CA Paris pole 3, chambre 1, arrêt du 18 octobre 2017, RG : 16/12884
Maître Ronit ANTEBI Avocat en droit des successions
Publié le 26 juin 2020