Le recel successoral et la dépendance des personnes âgées
La population française vieillit.
De nombreuses personnes en France subissent des accidents de la vie. Certaines ont pu perdre un conjoint et achever leur existence seule. Les enfants, les petits-enfants sont affairés et se consacrent aux difficultés de la vie économique et ne peuvent pas toujours consacrer à leur ascendant le temps et les faveurs qui lui sont nécessaires.
Une personne âgée devient fragile. Sa santé vacille et sa force physique se tarit.
Elle devient dépendante sur le plan fonctionnel ; elle perd son autonomie ; elle devient précaire socialement. Elle s’enfonce dans un isolement social qui la rend vulnérable.
La dépendance est l’inaptitude à accomplir les activités physiques ou mentales permettant de pourvoir à sa personne, à ses biens. Ainsi, des personnes âgées peuvent ne plus parvenir à faire leur toilette toutes seules, à s’habiller, à cuisiner, à se déplacer. Il arrive même qu’elles tombent du lit et se fracturent sans que personne n’en soit avisée.
Certaines personnes âgées sont souffrantes et affectées d’une pathologie plus ou moins grave : accidents vasculaires cérébraux, maladies cardiovasculaires, maladies neurologiques, démence, dépression sévère.
D’autres sont tout simplement affectées de senescence et leurs facultés diminuent à tel point qu’elles ne peuvent plus parvenir à accomplir les tâches usuelles de la vie quotidienne.
Les troubles cognitifs dont elles sont affectées peuvent donc aussi bien résulter d’une pathologie diagnostiquée que d’une sénilité naturelle.
La dépendance fonctionnelle peut engendrer une dépendance personnelle. Car lorsqu’elle se couple avec une perte d’autonomie c’est-à-dire de la capacité à choisir de son propre chef, en connaissance de cause, elle impose l’aide d’une tierce personne qui pourrait lui imposer ses décisions.
Cette tierce personne peut ne pas être missionnée par le juge pour prendre les décisions à la place du sujet, en s’accaparant progressivement les pouvoirs de celui-ci sur sa personne et sur ses biens.
Ce phénomène d’accaparement progressif est rendu possible lorsque le sujet ayant une qualité de vie et une santé physique et mentale moins bonnes, s’engouffre progressivement dans une solitude, le plus souvent suite à un veuvage.
L’aide et l’assistance intergénérationnelles se sont progressivement effritées et les personnes âgées sont confrontées, de plus en plus, à l’absence de descendants ou s’ils ont des enfants, ces derniers sont incapables d’assurer les soins en raison de leur âge avancé et de leur propre état de santé.
La personne âgée a besoin de soins et autant que possible, à domicile. Nul changement d’environnement contre son gré ne doit pouvoir lui être imposé.
Tous ces facteurs de risque peuvent conduire à une plus grande vulnérabilité lorsque la personne âgée en déclin fonctionnel n’est pas aidée par une personne digne de confiance.
Le risque de rencontrer un « oiseau de mauvais augure » qui n’ignore pas que cette personne âgée dispose de substantielles économies n’est pas ténue en cette période d’austérité économique et de chômage de masse.
Un dispositif de mise à l’isolement, de profit personnel peut être invisible aux yeux de la société.
Prenons l’exemple d’une retraitée qui rencontre une personne qui semble s’intéresser à elle, qui peut être un tiers étranger ou un membre plus ou moins éloigné de la famille non héritier. Les dossiers que nous avons eu à traiter ont montré que le processus conduisant progressivement vers une dissipation de était occulte et que le mode opératoire présentait des caractéristiques similaires.
La personne âgée vient de perdre son épouse. Elle habite un appartement en région parisienne. Sa petite-fille ne peut pas venir le voir régulièrement car elle poursuit ses études à l’étranger. Elle se contente de prendre de ses nouvelles par téléphone. Les gardiens d’immeuble ont besoin d’argent. Ils sont témoins de la tristesse et de la dépression dans lesquelles plonge le résident âgé. Ils vont commencer par faire semblant de compatir à sa tristesse et lui rendre quelques services bien utiles que les descendants ne font pas : lui faire ses courses, lui apporter son courrier à l’appartement, lui appeler le médecin à domicile si besoin …
Puis voyant que les services rendus se généralisent et qu’ils ne se soldent que par des mercis, les gardiens vont progressivement associer la personne âgée à leur cercle d’intimes en l’écartant parallèlement de sa famille.
Puis les gardiens d’immeuble vont rebattre les cartes en prenant quelques initiatives sans prévenir les proches : changer le médecin traitant…
Ils vont parfois commencer soit à l’influencer pour prendre des décisions à effet juridique comme la signature d’une assurance-vie, soit prendre des décisions en ses lieu et place, comme changer de numéro de téléphone, ou lui supprimer le téléphone, ou faire un tri systématique dans son courrier afin qu’il n’ait plus de contact avec sa famille.
Puis viendra le jour où les gardiens d’immeuble (dans notre exemple) vont sauter le pas et demander à la personne âgée de bien vouloir leur accorder une faveur, un service, leur consentir un prêt …
La personne âgée dotée d’économies et d’un patrimoine ne peut pas refuser. Si par hasard, elle daignait leur faire affront, elle se verrait privée de leur aide précieuse et devrait se débrouiller toute seule en cas d’urgence. Elle ne pourrait plus compter sur la précieuse aide matérielle et morale que leur apportent les gardiens d’immeuble. Le piège est ainsi refermé et il ouvre la voie à un abus de faiblesse voire à un cas de maltraitance, à une dissipation d’héritage ce dont ne se rendront compte les héritiers qu’après le décès de leur ascendant.
Autre cas de figure dans la sphère intrafamiliale : une personne âgée vit dans sa maison familiale. A priori, elle n’est pas seule car elle vit avec son fils aîné qui est célibataire et sans enfants. Elle souffre d’une maladie chronique. Son fils s’occupe de sa mère, ses papiers, ses courses. Mais sa mère bénéficie aussi de la fourniture de repas à domicile par le CCAS. Elle a subi une fracture dans son jardin et son fils ne s’en est pas rendu compte de sorte qu’elle est restée une longue partie de la nuit dehors, blessée, avant que la voisine ne vienne lui porter secours. Les conditions de vie à domicile sont fragiles. La maison se dégrade et le fils ne bricole pas. La température en hiver est très basse. Son fils se comporte comme un petit tyran domestique et lui compte son argent de poche de sorte qu’elle ne peut pas aller chez le coiffeur, ne peut pas faire les achats qu’elle souhaiterait pour compléter les courses insuffisantes de son fils. Il lui mange une partie de ses repas livrés à domicile. Lorsque la personne âgée est invitée à s’exprimer sur sa condition, elle banalise la situation car elle craint de devoir aller dans une maison de retraite médicalisée. Cette situation peut être source de maltraitance. La personne âgée accepte des conditions de vie difficiles par crainte d’être placée sous tutelle ou d’être envoyée en maison de retraite où la déshumanisation sévit. A son décès, le fils cadet se rend à l’évidence que sa mère a été personnellement maltraitée et que ses comptes bancaires ont été vidés alors qu’elle était restée dans le besoin. On est là à la frontière d’un cas de recel successoral.
C’est pourquoi, il est important que les pouvoirs publics appréhendent comme une priorité nationale la politique de développement d’une meilleure prise en charge des personnes âgées à domicile, avec à la clé des créations d’emploi autour d’un personnel aidant réellement qualifié.
Des dispositifs existent mais il importe d’en créer d’autres plus efficaces que la tutelle ou l’admission en maison de retraite.
D’autres Etats ont fait le choix de mettre l’accent sur cette priorité et ont de l’avance sur la France. Dans ces Etats on voit les personnes âgées aidées 24 H sur 24 par des auxiliaires de vie qui veillent en permanence sur elles, leur prépare le repas à domicile, leur parle, les promène, veille à leur toilette…
Ronit ANTEBI Avocat