Une victime a subi un abus de faiblesse et son patrimoine a été obéré au profit d’un tiers ou d’un cohéritier.
Les héritiers découvrent l’abus de faiblesse dont a été victime leur auteur après de décès de celui-ci.
Ignorant l’état du patrimoine de la victime, ils ne pouvaient donc pas agir avant l’ouverture de la succession.
La victime manipulée et vulnérable a pu être dans l’incapacité de déposer plainte pour abus de faiblesse.
La Cour de cassation estimait que la plainte pour abus de faiblesse n’était recevable que si elle émanait de la victime elle-même, de son vivant, et que celle-ci invoquait un préjudice personnel.
Les héritiers qui découvraient la vérité après le décès de leur auteur n’étaient pas recevables à déposer une plainte pénale avec constitution de partie civile devant le Doyen des juges d’instruction car leur préjudice était considéré comme trop indirect ; ils n’étaient pas les victimes directes de l’abus de faiblesse subi par leur auteur ; ils avaient juste la possibilité d’agir devant les juridictions civiles non pas pour obtenir la sanction pénale du coupable mais pour demander l’indemnisation de leur préjudice par ricochet en raison d’une faute civile restant à démontrer.
Cette situation n’était pas satisfaisante pour les héritiers qui se prétendaient également victimes directes et qui souhaitaient qu’un procès pénal ait lieu après le décès de leur auteur.
En 2008, une première évolution a cependant eu lieu par deux arrêts rendus en Assemblée Plénière de la Cour de cassation : la constitution de partie civile des héritiers pour abus de faiblesse subi par leur auteur est désormais recevable mais seulement si la victime avait déposé plainte avec constitution de partie civile ou si le Ministère publique avait enclenché l’action publique du vivant de la victime.
Assemblée plénière, 9 mai 2008, 05-87.379, Publié au bulletin, cf Légifrance
Au visa des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale,
Attendu que toute personne victime d’un dommage, quelle qu’en soit la nature, a droit d’en obtenir réparation de celui qui l’a causé par sa faute ; que le droit à réparation du préjudice éprouvé par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, se transmet à ses héritiers ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation, que MM. Jacques et Lionel X…, parties civiles, demandaient devant la cour d’appel saisie des seuls intérêts civils, en leur qualité d’héritiers de Antoine X…, la réparation des préjudices matériels et moraux causés par les faits de falsifications de chèques et usage dont leur auteur avait été victime ;
Attendu que pour déclarer cette demande irrecevable, après avoir dit constitués à la charge de Mme Ana Y…, renvoyée devant le tribunal correctionnel par ordonnance du juge d’instruction du 17 juin 2002, les éléments des infractions de falsifications de chèques et usage, l’arrêt retient que MM. Jacques et Lionel X… ne peuvent être considérés comme victimes directes de ces faits, alors même que leur auteur, bien qu’il en fût informé, n’avait jamais déposé plainte ni même manifesté l’intention de le faire ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le droit à réparation des préjudices subis par Antoine X…, né dans son patrimoine, avait été transmis à ses héritiers qui étaient recevables à l’exercer devant la cour d’appel saisie des seuls intérêts civils, peu important que leur auteur n’ait pas introduit d’action à cette fin avant son décès, dès lors que le ministère public avait mis en mouvement l’action publique et que la victime n’avait pas renoncé à l’action civile, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Cour de cassation, Assemblée plénière, 9 mai 2008, 06-85.751, Publié au bulletin, cf Légifrance
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bastia, 7 juin 2006), que Mme Angèle X… a cité directement devant le tribunal correctionnel M. Jean-René Y… et d’autres personnes, des chefs d’abus de faiblesse et d’autres infractions, pour obtenir réparation tant de son préjudice personnel que de celui de sa mère Irène X…, alors décédée ;
Attendu que Mme Angèle X… fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable la citation directe qu’elle a délivrée pour les faits dont aurait été victime sa mère, alors, selon le moyen, qu’est recevable l’action civile des ayants droit de la victime tendant à la réparation du préjudice personnel directement causé à cette dernière par l’infraction ; qu’ainsi la cour d’appel n’a pu légalement déclarer irrecevable la citation directe de Mme Angèle X… à raison des faits dont avait été victime sa mère décédée, sans violer les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 223-15-12 du code pénal, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
Mais attendu que, sauf exceptions légales, le droit de la partie civile de mettre en mouvement l’action publique est une prérogative de la victime qui a personnellement souffert de l’infraction ; que l’action publique n’ayant été mise en mouvement ni par la victime ni par le ministère public, seule la voie civile était ouverte à la demanderesse pour exercer le droit à réparation reçu en sa qualité d’héritière ;
La situation juridique n’était pas encore satisfaisante car les héritiers pouvaient se rendre compte de la réalité de l’infraction après le décès de la victime, à l’ouverture de la succession, lorsqu’ils exerceraient leurs droits en qualité d’héritiers vis-à-vis des tiers et pourraient avoir accès aux documents médicaux ou bancaires ou d’assurance-vie la concernant. Quant à la victime, elle devait être tellement manipulée de son vivant et tellement affaiblie médicalement qu’elle n’aurait pas eu la force de déposer plainte comme un appel au secours. Le Procureur de la République non averti des faits répréhensibles, n’aurait pas pu enclencher l’action publique. Autant de circonstances faisant que l’on pouvait encore passer ainsi à côté de la poursuite pénale.
Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 novembre 2009, 09-82.028, Publié au bulletin, cf Légifrance
Vu les articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale ;
Attendu que toute personne victime d’un dommage, quelle qu’en soit la nature, a droit d’en obtenir réparation de celui qui l’a causé par sa faute ; que le droit à réparation du préjudice éprouvé par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, se transmet à ses héritiers ;
Attendu, par ailleurs, que, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public et que la victime n’a pas renoncé à l’action civile, ses ayants droit sont recevables à agir devant la juridiction saisie ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Nicole X… a porté plainte et s’est constituée partie civile contre son frère Marc Antoine X…, le 8 janvier 2007, du chef d’abus de faiblesse, en exposant que leur mère Emilie Y…, décédée le 27 novembre 2005, avait été dépouillée de ses biens par celui-ci ; qu’après avoir pris, le 12 février 2007, des réquisitions aux fins d’informer sur les faits visés par la plainte, le procureur de la République a requis, le 28 novembre 2008, que la constitution de partie civile de Nicole X… soit déclarée irrecevable, qu’il soit informé du chef susvisé contre personne non dénommée, et qu’il soit fait application de l’article 80-3 du code de procédure pénale à l’égard de la victime ; que, le 10 décembre 2008, le juge d’instruction a rendu une ordonnance d’irrecevabilité de la constitution de partie civile, dont Nicole X… a relevé appel ;
Attendu que, pour confirmer l’ordonnance entreprise, l’arrêt retient qu’au moment de la plainte, ni Emilie Y…, ni le ministère public n’avaient antérieurement mis en mouvement l’action publique, que le droit à réparation des héritiers ne peut, en un tel cas, être exercé que devant la juridiction civile, et que Nicole X… ne justifie pas avoir souffert personnellement d’un préjudice direct consécutif à l’infraction dénoncée ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que les réquisitions initiales aux fins d’informer du procureur de la République avaient mis en mouvement l’action publique, peu important qu’elles aient suivi la plainte déposée par l’ayant droit de la victime, la chambre de l’instruction a méconnu les textes et les principes ci-dessus énoncés ;
En l’état du droit, les héritiers peuvent désormais déposer plainte avec constitution de partie civile du chef d’abus de faiblesse subi par leur auteur en réparation tant de leurs préjudices personnels que des préjudices par ricochet.
Me Ronit ANTEBI Avocat spécialiste du droit des successions
Publié le 15 mai 2021